Dans les années 1950, les mères battaient encore leurs enfants lorsqu’ils commettaient des fautes graves. Aucune loi n’empêchait les parents d’exercer leur courroux sur les fesses de leurs rejetons. Je me souviens d’en avoir mangé toute
une, à l’occasion de la construction d’un pipeline à Pointe-aux-Trembles. À cette époque, un grand nombre de raffineries de pétrole faisaient la fierté de la province de Québec. Ces raffineries se concentraient en un seul lieu, presque à l’extrémité est de l’île de Montréal.
Notre terrain de jeu se perdait dans des réseaux de grands tuyaux; une épaisse fumée jaune sortait des cheminées, qui sentait les œufs pourris. Torches enflammées et ampoules électriques illuminaient le ciel, la nuit, créant l’impression d’une cité fantôme où se terraient des monstres. Or, ces monstres de la pétrochimie rejetaient directement dans le fleuve, tout près du quai de la rue Marien, leurs résidus de pétrole; le pipi noir de la prospérité.
Les «compagnies d’huile» avaient entrepris la construction d’un pipeline souterrain entre le quai et la rue Sherbrooke. Cela creusait une grande tranchée dans le sol calcaire, qui attirait les enfants du quartier. Dans le fond de cette tranchée, de gros tuyaux avec, à intervalle régulier, des bouches pour y pénétrer. Ce chantier était laissé sans surveillance et nous pouvions y jouer à volonté.