Cet hiver je suis encabané, comme un ours dans son trou. Je réfléchis, le museau entre les pattes, ma pensée se promène, j’écris, j’écris, et n’ayant pas de route à parcourir, je vois dans ma tête celle qui mène d’aujourd’hui jusqu’à la fin des temps. Cela va comme suit. Lorsque meurt un bon camionneur, Dieu le reçoit au ciel en lui remettant les clés d’un beau camion flambant neuf, disons le camion de ses rêves…
Le défunt prend aussitôt le volant et s’engage sur une route infinie, sans goulots ni entraves. Le pavé est parfaitement lisse. Chaque jour, l’asphalte a été posé la veille ; la surface est d’une grande beauté noire, on peut sentir encore le goudron frais. Les lignes sont bien tracées, la peinture est fraîche et le trait, franc – lignes jaunes, blanches, pointillées – sans qu’aucun maladroit ou petit drôle n’ait roulé dessus avant qu’elles ne soient tout à fait sèches.
Cette route est une ligne droite, avec quelques courbes sympathiques, juste pour se rappeler qu’on roule. Il n’y a ni côtes dangereuses, ni descentes maudites. Le moteur céleste n’a jamais besoin d’ajustements, de révisions, de réparations. Inutile d’ouvrir le capot, la mécanique est sans faille, les freins inusables, les pneus increvables. Même pas besoin de faire le plein de carburant. Dieu a fuelé la machine pour la distance de l’éternité.