En août 1958, Hugh Pratley n’a que 31 ans, mais il en a beaucoup sur les épaules. Son père vient de mourir d’un fulgurant cancer du pancréas, le forçant à prendre les rênes de l’entreprise familiale de génie-conseil à un moment crucial. La boîte supervise simultanément la construction de quatre ponts! Il y en a trois en Ontario – à Cornwall, Prescott et Burlington. Mais il y a surtout le pont Champlain, à Montréal, le plus long au Canada, à l’époque.
Comme s’il voulait prévenir les critiques, l’ingénieur aujourd’hui âgé de 85 ans insiste: «J’ai donné au pont Champlain toute l’attention requise.»
Et, c’était (déjà!) un dossier qui en réclamait beaucoup! Son père, Philip L. Pratley, un ingénieur civil réputé, avait conçu une première version. L’ouvrage devait être en acier, comme les ponts Jacques-Cartier et Honoré-Mercier.
Mais le propriétaire du pont, le Conseil des ports nationaux (CPN), société fédérale aujourd’hui dissoute, a soudain réclamé une structure en béton, moins coûteuse. «Je n’aimais pas beaucoup cette idée, dit M. Pratley. Mais qui étais-je pour dire au gouvernement quoi faire?» Comme c’était aussi le gouvernement qui payait, ce fut lui qui eut le dernier mot.
Plus d’un demi-siècle plus tard, bien des ingénieurs aimeraient pouvoir remonter le temps. Car les choix de l’époque ont eu des répercussions énormes dont nous écopons aujourd’hui.