Les Premiers Peuples sont encore peu nombreux dans les universités québécoises, surtout aux cycles supérieurs. Mais au fil du temps, une meilleure place leur est accordée, dans le respect de leurs savoirs et de leurs réalités.
«C’était comme si je rentrais à la maison.» Voilà comment s’est sentie Cyndy Wylde lorsqu’elle a présenté son projet de thèse à Suzy Basile, professeure d’origine atikamekw à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). «Elle savait de quoi je parlais.»
Son sujet : la surreprésentation des femmes des Premières Nations dans les prisons québécoises. Un phénomène très peu documenté alors que les recherches sur les services correctionnels se font plutôt sur le plan national. «De nombreux facteurs contribuent à la surreprésentation des femmes autochtones dans le système carcéral : leur double discrimination, comme Autochtone et comme femme ; les violences physique, psychologique et sexuelle ; les traumatismes intergénérationnels ; les placements en famille d’accueil ; les problèmes de consommation ; l’éloignement du milieu ; les enjeux liés à la langue ; la situation d’emploi difficile ; les problèmes de santé mentale ; l’itinérance…», énumère Cyndy Wylde, qui a travaillé 25 ans au sein du service correctionnel fédéral.
Celle qui a agi comme experte pour la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec est aussi l’une des rares doctorantes autochtones dans le réseau universitaire québécois. Son parcours a été parsemé d’embûches : elle a été refusée à l’Université de Montréal parce qu’elle n’avait pas fait une maîtrise avec mémoire. Puis elle a été acceptée en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à condition de faire une propédeutique. Toutefois, ne percevant que peu d’intérêt sur place pour ses préoccupations, elle a abandonné son projet de doctorat il y a quelques années avant de le reprendre à l’UQAT, sous la codirection de Suzy Basile et de Hugo Asselin, directeur de l’École d’études autochtones.
«À la suite de mes mauvaises expériences, j’ai d’abord refusé qu’un non-Autochtone codirige ma thèse, raconte en rigolant Cyndy Wylde, qui est maintenant chargée de cours dans plusieurs établissements de l’Université du Québec (UQ). Mais Suzy Basile m’a dit que Hugo Asselin connaît très bien la culture autochtone et qu’il en est un défenseur. Je l’ai rencontré et, tout de suite, j’ai changé mon fusil d’épaule.»
Étudier à l’UQAT se veut en quelque sorte un retour aux sources pour celle qui est originaire de Pikogan, en Abitibi-Témiscamingue. Arrivée dans la région de Montréal à l’âge de 6 ans, Cyndy Wylde a vécu difficilement le déracinement. « Lorsque je retournais dans ma communauté pendant les congés scolaires, je pleurais tout le long du retour vers Montréal », se souvient la femme d’origine anicinape, qui, il y a 15 ans, s’est aussi découvert des racines atikamekw.
« Lorsque j’ai mis le pied à l’UQAT, à Val-d’Or, je me suis tout de suite bien sentie, dit-elle. D’abord, plusieurs éléments de la culture des Premières Nations sont présents, comme la structure du pavillon – qui est en forme de tipi –, et le personnel connaît et respecte autant la culture que l’histoire. Je suis à la bonne place. »
Un rapport qui pousse à agir
Les obstacles rencontrés par Cyndy Wylde ne risquent pas de surprendre Laurent Jérôme, professeur à l’UQAM et membre du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les affirmations autochtones contemporaines (GRIAAC). En 2017, il a publié – avec Léa Lefevre-Radelli, alors doctorante – une enquête sur l’expérience des Autochtones à l’université où il enseigne, réalisée avec le Cercle des Premières Nations de l’UQAM. On y mentionnait que, contrairement à d’autres universités montréalaises, l’UQAM n’avait pas établi de structures d’accueil pour des étudiants autochtones ni élaboré de politique institutionnelle en la matière.
«Il apparaît ainsi qu’à l’heure actuelle, tout l’effort d’adaptation repose sur les étudiants eux-mêmes, qui doivent connaître et maîtriser les codes, la pensée, la langue et la culture organisationnelle de la société majoritaire pour pouvoir étudier et réussir», peut-on y lire. L’enquête rappelle aussi que les inégalités d’accès à l’éducation entre les Autochtones et les allochtones sont réelles au Canada : environ la moitié des représentants du premier groupe âgés de 25 à 64 ans étaient titulaires d’un titre d’études postsecondaires en 2011, contre près de 65 % pour ceux du deuxième groupe.
Le rapport de recherche propose des recommandations pour induire un véritable changement. Rapidement, un comité sur la réconciliation avec les peuples autochtones a été créé à la Commission des études de l’UQAM. Un local, baptisé Niska, a été ouvert pour les étudiants autochtones, et on y a embauché un responsable qui avait les mêmes origines. L’établissement universitaire a aussi créé un poste d’agent de soutien à la réussite des étudiants autochtones et réservé des places aux membres des Premières Nations dans le baccalauréat en droit, un programme très contingenté. Il a également assoupli certaines règles pour l’admission des étudiants autochtones, en plus de favoriser la reconnaissance de l’expertise et de l’expérience des chargés de cours autochtones.
« Il est encore trop tôt pour mesurer l’effet de ces mesures, mais nous entendons qu’elles portent leurs fruits, indique Laurent Jérôme. L’UQAM organise une fête culturelle autochtone, maintenant, et on voit un engouement des étudiants allochtones pour les questions autochtones. » Il poursuit : « Il y a un vent de changement dans les perceptions. Le local Niska est aussi devenu un espace sécurisant, de solidarité et de rencontre pour les étudiants autochtones. Il faudrait maintenant pérenniser le financement de ces initiatives. »
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Apprendre les uns des autres
À la fin juillet, un comité formé d’une quinzaine de chercheurs et de détenteurs de savoirs autochtones s’est réuni dans la communauté crie de Chisasibi, en bordure de la baie James. Le groupe était invité à découvrir le musée local, le Centre culturel et patrimonial de Chisasibi, devenu lieu d’archivage pour la communauté. En plus des classes d’élèves qui visitent l’endroit, les tout-petits de la garderie voisine participent à des ateliers de transmission des savoirs qu’on y donne.

Carole Lévesque, chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Photo: Paul Brindamour
Cette visite a été réalisée dans le cadre d’un projet de recherche dirigé par Carole Lévesque, chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui vise à comprendre les dimensions de la transmission des savoirs et de la réussite éducative en milieu autochtone. «L’idée de réussite dépasse largement le cadre scolaire chez les Autochtones ; elle renvoie plutôt à un accomplissement personnel, familial et communautaire qui requiert la maîtrise d’un ensemble d’informations, de pratiques, de relations et d’actions ancrées dans la culture, observe-t-elle. Pour que les écoles du réseau québécois constituent des environnements accueillants pour les jeunes Autochtones, elles doivent créer des ponts directs avec les détenteurs de savoirs des Premières Nations.»
Financé par le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones DIALOG de même que par la Fondation Lucie et André Chagnon, ce projet de recherche est fondé sur ce qu’on appelle « la coconstruction des connaissances ». « Le comité fonctionne comme une communauté apprenante, explique Carole Lévesque. Chacun apporte sa contribution ; nous apprenons les uns des autres, et un réel dialogue s’installe entre le milieu universitaire et les groupes autochtones, qui, ne l’oublions pas, ont aussi leurs particularités d’un territoire à un autre. »
À l’image des Cris de Chisasibi, d’autres communautés accueilleront cette année des ateliers au cours desquels elles communiqueront leurs initiatives en vue de transmettre leurs savoirs. L’objectif consiste à mieux comprendre comment intégrer ces connaissances et façons de faire dans les politiques publiques afin d’améliorer les conditions de vie en milieu autochtone, notamment en matière d’éducation, mais aussi d’aménagement du territoire et de développement communautaire. Carole Lévesque espère ainsi fournir aux décideurs des pistes d’action « extrêmement concrètes ». « On se rend compte que même les gens très ouverts aux réalités autochtones dans les gouvernements ont peu de matériel avec lequel travailler », rappelle la chercheuse.
Pour une meilleure inclusion
De son côté, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) travaille avec les communautés autochtones depuis sa fondation, en 1969. Il y a 30 ans, elle a même mis sur pied son Centre des Premières Nations Nikanite – qui signifie « va de l’avant » en langues innue et atikamekw – pour accueillir les étudiants autochtones et les aider dans leur cheminement universitaire.
En collaboration avec le Cégep de Baie-Comeau et la communauté innue de Pessamit, l’université a publié en 2015 le Guide d’intervention institutionnelle. L’idée est de soutenir le personnel enseignant et professionnel dans ses actions auprès des étudiants autochtones afin de favoriser leur réussite éducative. Pour y arriver, plusieurs entrevues individuelles et de groupes ont été réalisées. « Une grande partie des problèmes étaient liés à une méconnaissance, de part et d’autre, des exigences et des pratiques sociales », indique Roberto Gauthier, professeur au Département des sciences de l’éducation de l’UQAC, qui était le responsable scientifique du projet.
Par exemple, les entrevues ont montré que les enseignants trouvaient le niveau de motivation des étudiants autochtones varié et difficile à cerner. De leur côté, les étudiants autochtones témoignaient qu’ils étaient avant tout motivés par le désir de retourner dans leur communauté pour y mettre en pratique les connaissances acquises à l’université. Par contre, ils sont aux prises avec plusieurs difficultés qui affectent leur motivation, comme la solitude et la maîtrise difficile du français.
Pour le bénéfice des professeurs et chargés de cours de l’UQAC venant de partout au Québec, le Centre des Premières Nations Nikanite a créé un site web, Regards croisés, qui diffuse les conclusions de ces travaux. Il a en outre mis sur pied un cours de français d’appoint adapté. « C’est une approche de langue seconde qui tient compte de la culture autochtone », explique Sophie Riverin, chargée de gestion à Nikanite, qui organise aussi tous les deux ans le Colloque sur la persévérance et la réussite scolaires chez les Premiers Peuples.
Par ailleurs, le réseau de l’Université du Québec a décidé d’agir plus largement en créant la Table de travail sur les réalités autochtones. Le but : favoriser une meilleure collaboration ainsi qu’un partage des bonnes pratiques afin d’améliorer la réussite éducative. Membre de cette initiative, Isabelle Savard, qui est professeure spécialisée dans la considération des variables culturelles et contextuelles au Département d’éducation de l’Université TÉLUQ, a proposé notamment de créer une propédeutique pour les Autochtones effectuant un retour aux études. « Nous voulons que ces cours puissent être suivis sans accès à Internet dans les communautés, parce que plusieurs futurs étudiants autochtones ont des enfants, et le déplacement en ville est souvent complexe et traumatisant », indique-t-elle, précisant que la propédeutique est mise au point en collaboration avec l’UQAC et l’UQAT.
Finalement, c’est grâce à la force de la communauté – ce qui est tout à fait cohérent avec les valeurs des Premières Nations – que les universités parviendront à une meilleure inclusion.
Un engagement bien réel
Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada identifiait l’éducation comme «la clé de la réconciliation». Devant ce constat sans appel, l’organisme Universités Canada n’a fait ni une ni deux: il a lancé un forum annuel réunissant des dirigeants d’universités, de collèges et de collectivités autochtones. L’objectif: apporter des changements durables dans le milieu de l’enseignement supérieur afin de faire progresser la réconciliation.
La sixième édition de cet événement se tiendra pour la première fois dans l’est du pays, qui plus est au Québec, du 10 au 12 novembre 2020. Coorganisé par le réseau de l’Université du Québec (UQ) et l’Université Laval, le forum accueillera quelque 300 participants venant de partout au pays, qui seront invités à échanger sous le thème « S’engager dans les pas des étudiants des Premiers Peuples ».
« Nous souhaitons que le plus grand nombre d’étudiants autochtones et inuit puissent poursuivre des études du secondaire à l’université, déclare Johanne Jean, présidente de l’UQ. Il faut surmonter les barrières systémiques qui freinent leur réussite, et pour cela, nous avons l’ambition de proposer des mesures concrètes à l’issue du forum. Le temps des vœux pieux est terminé ; il faut passer à l’action, comme le réclament justement les représentants des communautés autochtones. »
Des comités de gouvernance et de programmation, composés également d’Autochtones et d’allochtones, sont déjà à l’œuvre pour planifier le forum. La diversité autant que la vitalité des communautés des Premières Nations et des Inuit du Québec seront à l’honneur, assure Mme Jean.
Par ailleurs, les participants auront l’occasion de réfléchir à des données à paraître au printemps qui retraceront « tout ce qui se fait par, pour et avec les Premiers Peuples dans le monde universitaire québécois en matière de recherche, d’enseignement et de gouvernance », explique Johanne Jean. « Pour mieux agir, nous devons avoir une lecture juste de la situation, poursuit-elle.
Par exemple, les étudiants autochtones décrochent; c’est vrai. Mais ce sont aussi les plus grands “raccrocheurs”. Ils font souvent un retour aux études au début de la trentaine, après avoir fondé leur famille. Leurs trajectoires sont multiples, et nous devons leur offrir un soutien mieux adapté. » À l’évidence, pour Johanne Jean, l’engagement ne se limite pas au thème du forum : il est bien réel.
Pour plus d’informations : uquebec.ca