Pour sauver les épinettes blanches des épisodes de gel dommageables pour leur croissance en Abitibi-Témiscamingue, rien de mieux que de planter cette espèce là où il fait plus chaud : dans le haut des pentes.
«Dans les forêts naturelles, l’épinette blanche est probablement le conifère qui pousse le plus rapidement sur les dépôts argileux de l’Abitibi-Témiscamingue», indique Yves Bergeron, codirecteur de l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Prolifique, l’épinette blanche est donc la candidate de choix pour reboiser d’anciennes terres agricoles. Mais curieusement, les producteurs forestiers observent que sa croissance stagne – ce qui ne survient pas en milieu naturel. Le grand coupable? Les gelées printanières. C’est ce qu’a découvert Benjamin Marquis, lors de son doctorat dirigé par Yves Bergeron. Il a ainsi compris comment planter stratégiquement les épinettes blanches sur le relief pour éviter que leur croissance ne soit affectée par les nuits froides.
Pour parvenir à cette conclusion, il devait résoudre l’énigme suivante : alors que l’air froid est plus lourd que l’air chaud, quelle différence de température peut-on observer entre les points les plus hauts et les plus bas du relief abitibien qui comprend plusieurs collines? C’est ce qu’a mesuré Benjamin Marquis en installant 350 capteurs sur le territoire pour enregistrer des données de température toutes les 30 minutes dès le début du mois de mai jusqu’à la fin de l’été.
«La récolte de ces données a montré qu’il y a une différence de 4 °C sur 15 mètres d’élévation, ce qui ne représente pas une pente énorme, affirme le jeune chercheur. Ainsi, dans le bas d’une pente, on peut obtenir une température de -2 °C, contre 2 °C à son point le plus haut, ce qui fait une grosse différence pour la croissance de l’épinette blanche.»
Pourquoi avoir étudié uniquement la période estivale? «L’hiver, les arbres s’adaptent et sont bien protégés pour résister au froid, explique Yves Bergeron. Mais, lorsque la température se réchauffe et qu’il y a plus d’ensoleillement, ils perdent leur capacité à résister au froid et c’est à ce moment que des épisodes de gel peuvent les endommager.»
Planter la bonne espèce au bon endroit
À la lumière de ces résultats, Benjamin Marquis suggère dans sa thèse de créer des plantations mixtes basées sur la connaissance du terrain plutôt que d’opter pour une monoculture.
«L’épinette noire demeure plus longtemps en période de dormance [ses bourgeons s’ouvrent deux semaines plus tard que ceux de l’épinette blanche] et résiste ainsi mieux au gel. On recommande donc d’en planter dans le bas des pentes où on tombe plus souvent sous le point de congélation, et de réserver les épinettes blanches aux endroits moins à risque de geler», précise-t-il.
Benjamin Marquis souhaite que ses résultats soient largement diffusés pour que les propriétaires forestiers puissent s’en servir afin de reboiser leurs terres plus efficacement. Ses travaux contribueront aussi à préserver les forêts face aux changements climatiques. «On parle de déplacer les espèces du sud vers le nord puisqu’il fera plus chaud, indique Yves Bergeron. Des chercheurs travaillent sur des améliorations génétiques, mais ils ne prennent pas toujours en compte la résistance au gel de ces espèces. Les travaux de Benjamin sont donc très importants et ils sont d’ailleurs maintenant souvent cités dans les études sur les plantations forestières.»
Image en ouverture de l’article: la rivière Sautauriski bordée d’épinettes blanches au Parc national de la Jacques-Cartier. Photo: Simon Pierre Barrette/Wikimedia Commons
Cet article a été réalisé en partenariat avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.