Image: Pete Linforth/Pixabay
Il y a 20 ans, deux revues scientifiques publiaient pour la première fois les travaux de deux groupes détaillant le génome humain. Une réalisation colossale qui s’est échelonnée sur plusieurs années. Retour sur cette grande percée scientifique.
En 1988, le Human Genome Project était officiellement lancé aux États-Unis. Cette collaboration internationale avait comme objectif ultime de séquencer le génome humain au complet et de le partager dans une base de données, un projet au long cours. Dix ans plus tard, un autre joueur entrait en scène : la compagnie Celera Genomics, qui travaillait aussi à décrypter le génome humain. L’exploration génétique des deux groupes a abouti à la publication de deux articles, l’un dans Science et l’autre dans Nature, en février 2001. On y dévoilait enfin le génome humain.
Pour revenir sur cette grande aventure scientifique, Québec Science a discuté avec Ken Dewar, chercheur en génétique humaine au Centre de recherche sur le microbiome à l’Université McGill. Après un doctorat en foresterie à l’Université Laval achevé en 1995, il a fait un postdoctorat à l’Université de Pennsylvanie, où il a participé au premier séquençage génétique d’une plante, Arabidopsis thaliana. Cette expérience l’a ensuite mené à diriger une équipe responsable de cartographier certains gènes au Whitehead Institute/MIT Center for Genome Research, à Boston, et d’ainsi contribuer au Human Genome Project.
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Le chercheur Ken Dewar
Quand vous repensez à cette époque, qu’est-ce qui vous vient en tête?
Ken Dewar: Quand j’y repense, je me sens vieux! Déjà 20 ans! Je vois à quel point les technologies ont évolué depuis, mais je réalise surtout que c’était un défi de séquencer le génome. À l’époque, il n’y avait pas de manuel d’instructions pour nous dire comment faire. On apprenait au fur et à mesure qu’on faisait ce séquençage et il fallait le faire correctement. Il y avait aussi énormément d’argent en jeu.
QS Quel était votre rôle dans ce projet?
KD Nous étions plusieurs centres de séquençage et chacun était responsable de chromosomes en particulier. Notre groupe identifiait des clones et les reliaient à différentes portions du chromosome. On les envoyait ensuite à un groupe qui isolait l’ADN et en faisait le séquençage. Lorsque c’était fait, les résultats nous étaient renvoyés pour qu’on s’assure que ce qui avait été séquencé allait bel et bien à cet endroit du génome.
Lorsque je suis arrivé dans ce groupe, en 1997, nous étions environ une dizaine de personnes. Quand j’ai quitté pour Montréal, il devait y en avoir au moins 200 qui travaillaient pour ce groupe du MIT.
L’humain possède de 20 000 à 25 000 gènes. Pour arriver à décrypter la séquence de ces gènes, c’est-à-dire l’ordre des blocs de base qui les composent, les scientifiques ont coupé tout le matériel génétique en petits morceaux. Ces derniers ont été clonés à l’aide de bactéries pour ensuite être séquencés. De nos jours, les méthodes de séquençage sont beaucoup plus rapides et moins coûteuses. Par exemple, la technique de pyroséquençage permet de lire directement et rapidement le matériel génétique (sans passer par le clonage).
QS Quelle est la signification de cette connaissance du génome humain?
KD [Avant la publication du génome humain], nous connaissions la localisation d’un gène par rapport à un autre, mais avec le séquençage, nous avons pu établir la séquence d’un gène, ainsi que les régions situées en amont et en aval et comprendre pourquoi certains gènes sont activés ou désactivés pour certaines maladies. On peut étudier toute la dynamique du génome.
QS Pourrait-on comparer cette réalisation scientifique à celle des premiers pas effectués sur la Lune?
KD D’une certaine manière, oui, car c’était le fruit d’un travail collectif. Mais d’un autre côté, c’est différent; envoyer des astronautes sur la Lune a été un investissement énorme qui a profité à un petit nombre de personnes, alors que le séquençage du génome humain, qui a aussi été un investissement très coûteux, bénéficie à chaque humain. La médecine basée sur la génomique touche pratiquement tout le monde. Nous sommes dorénavant capables d’identifier les gènes qui sont impliqués dans les différentes maladies et de comprendre pourquoi ces gènes ne fonctionnent pas correctement dans certaines situations afin de concevoir des traitements. Avec la pharmacogénomique [qui étudie l’effet des gènes sur la réponse du corps aux médicaments], on peut maintenant tester si les médicaments fonctionnent vraiment et s’ils ont des effets indésirables. On essaie d’arriver au point où l’on peut traiter un patient en fonction de son histoire génétique.
Autre différence : la conquête de la Lune mettait en scène les États-Unis contre la Russie, alors que le Human Genome Project était un effort international.
QS Justement, plusieurs pays, dont les États-Unis, la France, le Japon et le Royaume-Uni, ont participé à ce projet d’envergure. Quel a été l’engagement du Canada?
KD Il n’y avait pas de participation officielle du Canada, mais il y avait beaucoup de scientifiques canadiens impliqués dans tous les grands laboratoires de séquençage. Entre nous, nous avions l’habitude de plaisanter à ce sujet en disant que les Canadiens participaient, mais que c’étaient les Américains qui payaient!
Au centre de séquençage à Boston, il y avait à un certain moment près de 100 machines de séquençage dont le budget équivalait à plus d’un demi-million de dollars par semaine. C’était astronomique comme budget! Mais cela nous a permis d’apprendre, pour ensuite trouver des moyens plus rapides et efficaces et moins chers.
QS Il y avait une rivalité entre deux groupes pour le séquençage, le projet génome humain et la compagnie Celera Genomics. Y a-t-il eu un gagnant entre les deux?
KD De mon point de vue, les deux groupes ont gagné d’une façon différente. Je suis partial parce que je faisais partie du groupe universitaire [Human Genome Project] et je crois que nous avons mieux réussi à expliquer la biologie derrière le génome humain. En termes de technologie, on pourrait dire que Celera a perdu la bataille, mais a gagné la guerre parce qu’ils ont été les premiers à démontrer que le séquençage du génome entier pouvait être réalisé à moindre coût.
QS La compagnie Celera avait été mise sur pied notamment dans le but de commercialiser l’information génétique. Finalement, grâce au Human Genome Project, toutes les données ont été rendues disponibles. Ce fut une bonne chose?
KD Absolument. Mais je crois que la communauté génomique n’a pas assez fait la promotion de cette disponibilité des données. En astronomie, par exemple, il y a de temps en temps un amateur qui fait une découverte importante avec des données qui sont accessibles. Je suis certain qu’il y aurait autant de gens pour s’intéresser au fonctionnement des gènes.
QS Quelles sont les étapes à franchir dans les prochaines années?
KD Nous sommes devenus très bons pour séquencer le génome humain et des bactéries pathogènes [le chercheur a été impliqué dans des projets de séquençage de certains pathogènes, dont Clostridium difficile], mais il faut continuer à séquencer le génome des autres organismes. En ce moment, pour moi, le microbiome est très important. On séquence les génomes de plusieurs bactéries différentes et on tente de comprendre comment elles interagissent ensemble et avec les cellules humaines.
QS Croyez-vous que le fait de disposer du génome humain nous aide à réaliser de meilleures recherches pour lutter contre la COVID-19?
KD Assurément. Il y a beaucoup d’efforts pour séquencer et identifier les génomes du virus de la COVID-19 et de ses variants. Ce sont les mêmes technologies de séquençage qui ont servi pour le Human Genome Project.
Les propos recueillis ont été synthétisés pour améliorer la lecture.