Parfois, on quitte son pays pour échapper à la guerre. Mais d’autres fois, la migration est mue par la volonté d’étudier, de travailler, de s’épanouir ailleurs. Même dans les meilleures circonstances, le migrant souffre, tiraillé entre son ancienne et sa nouvelle identité. Et si l’art-thérapie lui permettait de les réconcilier?
En réalisant une revue de littérature sur les migrants existentiels, Vera Heller est tombée sur les travaux de Greg Madison, un psychologue canadien installé à Londres. Il s’est intéressé au profil de ces migrants partis pour mieux s’épanouir. Celle qui a quitté sa Roumanie natale il y a plus de 30 ans s’est reconnue dans ce profil et a voulu travailler avec ces gens. Parce que même s’ils ont fait le choix de partir, les migrants vivent de la souffrance dans le processus d’acculturation – qui se produit lorsqu’on assimile une culture étrangère. La chercheuse a évalué si l’art-thérapie facilite leur guérison.
«Plusieurs migrants volontaires vivent des douleurs profondes et ne les expriment pas parce qu’ils se disent qu’ils ont fait un choix et qu’ils ne sont pas censés souffrir et encore moins révéler cette souffrance : ils pensent qu’ils doivent se contenter de faire des efforts pour s’intégrer et ne pas s’apitoyer sur leur sort», raconte Vera Heller, professeure d’art-thérapie au centre de Montréal de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
Par exemple, l’apprentissage du français ne se fait pas sans heurts. «C’est une épreuve majeure pour quelqu’un de s’exprimer dans une autre langue et chercher ses mots est une blessure narcissique profonde lorsqu’on est habitué d’avoir un bon niveau de langage dans sa langue maternelle, affirme la chercheuse. La personne est perdue, elle ne retrouve plus son identité.»
Les recherches montrent aussi que la plupart des immigrants passent par une période dépressive «Évidemment, les souffrances des migrants qui traversent la Méditerranée dans des conditions vraiment horrifiantes ne sont pas comparables avec celles des migrants existentiels, mais il reste qu’ils ont besoin d’aide», affirme Mme Heller qui est aussi travailleuse sociale et psychothérapeute.
Réconciliation par l’art
Réalisé en 2017-2018, le projet de recherche de Vera Heller a réuni cinq hommes et cinq femmes de différentes origines qui ont immigré au Québec. Ils ont réalisé une entrevue individuelle, puis 20 ateliers de groupe commençant par une discussion inspirée de l’essai Le Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell. Ils y faisaient des liens avec leur propre quête et un temps de création suivait.
«Plusieurs pensées et émotions émergent pendant la création et par après, ils y réfléchissent, explique Vera Heller. Dans la plupart des œuvres, on a pu voir clairement les deux identités qui s’opposent, celle d’ici et celle de là-bas. L’art contribue à l’union des contraires, à l’intégration des deux aspects de l’identité de l’individu pour former une nouvelle identité hybride. Dans les entrevues réalisées à la fin du processus, j’ai pu constater que le projet a été transformateur pour les participants.»
Les œuvres ont été exposées au Musée des beaux-arts de Montréal, ce qui a grandement motivé les participants, d’après Vera Heller. «C’est important de faire le lien avec un public plus large qui connaît peu la réalité de ces gens qui tombent dans la grande catégorie d’immigrants économiques. En effet, ils sont peu présents dans la littérature et leurs enjeux demeurent aussi peu reconnus tant par la société que par les migrants eux-mêmes.»
La chercheuse souhaite maintenant travailler à mieux expliquer le processus thérapeutique de l’art-thérapie. «Pourquoi réunir des contraires dans un processus de création artistique est un processus thérapeutique? Pour trouver des réponses, j’irai notamment fouiller dans des travaux réalisés en psychanalyse.»
Cet article a été réalisé en partenariat avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.