Des études prouvent que des femmes autochtones ont été stérilisées au Canada. Qu’en est-il plus spécifiquement au Québec?
Inviter les femmes autochtones à témoigner de ce qu’elles ont vécu en matière de stérilisation imposée ou de violences obstétriques : c’est un grand projet de recherche, sur un sujet des plus tabous, dans lequel se lance Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
«Des femmes autochtones m’ont partagé personnellement leur expérience, mais on ne peut pas affirmer ou infirmer qu’il y a eu des stérilisations imposées de femmes autochtones au Québec, parce qu’il n’y a jamais eu de recherches réalisées sur le sujet contrairement aux autres provinces et territoires canadiens», indique Suzy Basile, d’origine atikamekw.
Les récits sont à glacer le sang. Des femmes ont subi de la pression pour se faire ligaturer les trompes de Fallope en plein accouchement ou lors d’un avortement. Certaines se sont fait dire que l’intervention était réversible, alors qu’elle ne l’est pas. D’autres réalisent qu’elles ne sont tout simplement plus retombées enceintes après une intervention médicale ; elles se demandent si elles ont été stérilisées à leur insu. À travers le pays, les témoignages sont nombreux et certaines stérilisations imposées se seraient déroulées aussi récemment qu’en 2018.
Pourtant, le gouvernement de François Legault a refusé de participer au groupe de travail fédéral sur les stérilisations forcées des femmes autochtones au Canada, en cours depuis deux ans, et auquel participe les autres provinces et les territoires.
«Il ne serait pas étonnant qu’il y en ait eu aussi au Québec et d’ailleurs, ce qu’on a entendu l’automne dernier dans la vidéo de Joyce Echaquan, filmée à l’hôpital de Joliette, montre bien comment on a toujours considéré les femmes autochtones comme des femmes faciles qui ont des vies dépravées, qui ont trop d’enfants et qu’il faut contrôler», affirme Suzy Basile.
Pour mieux documenter le phénomène, un comité régional s’est créé, réunissant l’UQAT et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, ainsi que plusieurs partenaires autochtones.
Le 17 mai, un appel à tous a été lancé aux femmes autochtones pour qu’elles se manifestent. Le comité a embauché une infirmière autochtone à la retraite pour recueillir leurs témoignages et mis en place du soutien pour celles qui oseront parler.
Dans un deuxième temps, une étudiante au doctorat dirigée par Suzy Basile réalisera de longues entrevues avec les volontaires pour mieux comprendre comment la stérilisation imposée ou les violences obstétricales s’insèrent dans leur parcours de vie.
À l’hôpital, de force
Suzy Basile se penche aussi sur les conditions d’accouchement imposées aux femmes autochtones. «Dans les années 1970, du jour au lendemain, on a commencé à envoyer les futures mères accoucher seules à l’hôpital où on ne parlait même pas leur langue, alors que depuis des millénaires, elles se sont très bien débrouillées entre elles, avec des sages-femmes qui avaient un savoir et un rôle vital pour les communautés.»
Des femmes autochtones auraient aussi été traitées différemment des Blanches dans des hôpitaux. «Par exemple, il existe un préjugé extrêmement tenace dans le milieu de la santé voulant que les femmes autochtones ressentent moins la douleur, qu’elles peuvent tout endurer. Résultat : certaines ont eu droit à moins de médication», précise Suzy Basile qui récoltera ce type de témoignages dans un autre projet de recherche.
L’accouchement dirigé vers l’hôpital a aussi poussé plusieurs sages-femmes à cesser leur pratique. Leur savoir, qui se transmettait de génération en génération, s’est ainsi perdu. «Les rituels rattachés à l’arrivée d’un enfant ont aussi disparu et on les a remplacés par le baptême, en cohérence avec le projet colonial, explique la chercheuse. Tout le lien au territoire a été modifié, voire coupé, puisque nous avons cessé d’y avoir nos enfants.»
Les nombreuses injustices vécues par les femmes autochtones – notamment dans sa propre famille – servent de carburant à Suzy Basile. «Dans toutes les familles autochtones, il y a des cas, précise-t-elle. J’aimerais mieux comprendre ce qui leur est arrivé. J’aimerais aussi que la société en général comprenne que les femmes autochtones ont été la cible de pratiques coloniales, voire génocidaires, particulières. Il faut rendre justice à celles qui n’ont pas eu la chance de faire valoir leurs droits ou qui n’ont même pas pu réaliser à quel point elles ont été malmenées.»
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Dès le 17 mai et jusqu’au 31 août prochain, les femmes des Premières Nations et Inuit au Québec croyant avoir été stérilisées sans avoir donné leur consentement ou qui ont subi des violences obstétricales sont invitées à confier leur témoignage dans un espace confidentiel, respectueux et sûr. Il sera également possible de partager, avec son accord, l’expérience d’une personne proche.
Pour plus d’information, rendez-vous à sterilisationsimposees.cssspnql.com
Image en ouverture: Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones de l’UQAT. Photo: Geneviève Lagrois
Cet article a été réalisé en partenariat avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.