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03 juin 2021
Temps de lecture : 4 minutes

Surdoses d’opioïdes: crise à l’ombre de la pandémie

Image: Unsplash

Les surdoses mortelles associées à la consommation d’opïoides augmentent à un rythme affolant au Québec. Comment explique-t-on cette crise? Et surtout, existe-t-il des solutions?

Il n’y aura jamais eu autant de surdoses mortelles d’opioïdes au Québec qu’en 2020: au total, elles ont fait 547 victimes, d’après l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), qui suit les décès attribuables aux opioïdes depuis 2016. «C’est beaucoup, on compte entre 30 et 60 morts chaque mois. On vit une crise de santé publique qui est ignorée et à laquelle on n’a pas de solution actuellement», s’inquiète Jean-François Mary, directeur général de Cactus Montréal, un organisme communautaire venant en aide aux personnes consommatrices de drogues. «Auparavant, on intervenait une fois par semaine pour une surdose. Actuellement, quand on a une journée sans aucune intervention, on considère que c’en est une très bonne. Notre « normalité » a complètement changé.» Jean-François Mary souligne que le moral de son équipe est bien bas, les intervenants se sentant impuissants face à cette vague de surdoses en continu qui déferle sur le Québec.

Au milieu des années 2010, la crise des opioïdes a durement frappé les États-Unis. D’ailleurs, en 2017, le gouvernement de Donald Trump en avait fait une situation d’urgence nationale sanitaire. De ce côté-ci de la frontière, de janvier 2016 à septembre 2020, on a rapporté 19 355 décès liés à une intoxication aux opioïdes, principalement dans l’ouest du pays.

Un nouveau marché

Ainsi, il y a quelques années, alors que la consommation d’opioïdes faisait des ravages dans les provinces de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, le Québec faisait bande à part dans les statistiques. Les opioïdes n’étaient pas autant consommés dans la province. «Quand j’ai commencé à travailler à Cactus en 2007, 80% des personnes s’injectaient de la cocaïne, se souvient Jean-François Mary. Mais l’exception québécoise a disparu: on est passé à une consommation similaire à ce qui se passe ailleurs dans le monde.» C’est-à-dire à un marché où l’on retrouve des opioïdes, comme le fentanyl et le carfentanyl, de la méthamphétamine et d’autres produits de synthèse.

De son côté, l’héroïne, opiacé autrefois prisé, a quasiment disparu. «Contrairement à l’héroïne, qui coûte cher à fabriquer et à transformer, le fentanyl et les autres opioïdes sont relativement faciles à produire», explique Jean-François Mary. La première est souvent produite dans des champs situés dans des pays comme le Myanmar, la Colombie et le Mexique, alors que les opioïdes peuvent être fabriqués dans n’importe quel laboratoire improvisé. «C’est très rentable et facile à transporter, observe M. Mary. On ne voit plus que des mix de fentanyl. Les usagers vont consommer des speedballs qui contiennent la fois de la cocaïne et du fentanyl.»

La Dre Julie Bruneau, chercheuse au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), a aussi remarqué le changement des marchés de drogue dans les rues de la métropole. «Le fentanyl est désormais partout. On a un cocktail explosif à la fois pour les surdoses, mais aussi pour les infections à l’hépatite C et au VIH [les consommateurs de drogues injectables sont plus exposés à ces infections]», dit celle qui est à la tête du pôle Québec – Maritimes de l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances.

Si la crise des opioïdes a pris son envol bien avant le début de la pandémie, la COVID-19 n’a pas facilité le travail des médecins et des intervenants. Selon Julie Bruneau, la pandémie a ralenti plusieurs études. «Il a été extrêmement difficile de faire des études et de suivre les gens. À cela s’est ajouté l’isolement social et le fait que les personnes ont dû consommer seules. Il y a également eu une diminution des services pour cette population vulnérable, car beaucoup de ressources ont été redirigées vers la COVID.» Sans oublier la crise du logement qui est venue s’ajouter à tout cela.

«Dans le milieu, on dit souvent qu’on fait face à une épidémie silencieuse. Si on avait rapporté qu’autant de gens âgés entre 20 à 40 ans étaient morts d’une maladie infectieuse au Canada, il en serait autrement», souligne la Dre Bruneau, avec une certaine amertume.

Quelques pistes de solutions

Plusieurs intervenants du milieu communautaire ainsi que des usagers préconisent le « safe supply » ou l’approvisionnement sûr en drogues, qui limiterait le risque de surdoses. Cela consiste à garantir l’approvisionnement en drogue sécuritaire et bien dosée, contrairement à celle que les utilisateurs se procurent sur le marché illégal. «Les gens meurent notamment parce qu’ils consomment en cachette des substances dont ils ignorent la teneur», indique la Dre Bruneau. C’est une stratégie de réduction des méfaits déjà mise en œuvre en Colombie-Britannique. [Mise à jour le 3 juin: Cactus Montréal, situé sur la rue Sanguinet, offrira bientôt un «service d’analyse de substances psychoactives gratuit, anonyme et confidentiel.»]

À ce chapitre, Jean-François Mary, directeur de Cactus, mentionne une compagnie pharmaceutique à but non lucratif, Fair Price Pharma, qui est née en 2020 en Colombie-Britannique en réponse à la crise des opioïdes. «Cette compagnie pharmaceutique fournit l’équivalent d’une consommation d’héroïne pour 9$. Les usagers sont prêts à payer pour une drogue de qualité, avec un dosage connu et contrôlé pour rester en vie.» Mais pour que cela fonctionne, le directeur de Cactus souligne que les gouvernements doivent agir et faire un pas en décriminalisant les drogues. «Il faut du courage politique et reconnaître que la prohibition a échoué. Je pense que nos gouvernements sont rendus là dans leur réflexion», dit-il.

Il y a aussi des possibilités de traitements qui sont examinés par des chercheurs québécois. La chercheuse Julie Bruneau est impliquée dans l’étude OPTIMA, lancée en 2017 et dirigée par le Dr Didier Jutras-Aswad du CRCHUM. Ce programme vise à traiter la dépendance avec des agonistes opioïdes. Les chercheurs testent l’efficacité de deux traitements: l’emploi de la méthadone ou de la buprénorphine/naloxone pour aider les participants dépendants aux opioïdes. Les résultats de cette étude devraient être connus dans les prochains mois.

Cependant, à court terme, Jean-François Mary a peu d’espoir que la situation s’améliore. «Bien sûr, on parvient à réanimer plusieurs personnes. Mais on sait que plusieurs ne passeront pas à travers les prochains mois. Ils sentent constamment une épée de Damoclès au-dessus de leur tête et savent que ce seront eux les prochains.»

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La naloxone, une bouée de sauvetage

Administrée à une personne en surdose, la naloxone contrecarre temporairement les effets des opioïdes. S’il y a un message à retenir, selon la Dre Julie Bruneau, c’est que toute personne qui se fait prescrire des opioïdes pour des douleurs chroniques, par exemple, devrait également s’équiper d’une trousse de naloxone et suivre une formation. « La première chose que des patients vont nous dire, c’est qu’ils ne sont pas des toxicomanes. Mais il faut déstigmatiser tout ça. C’est normal d’avoir une trousse de naloxone si on prend des opioïdes de la même façon qu’on a un auto-injecteur d’épinéphrine si on souffre d’allergies sévères », compare la médecin.

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