Image: Tobias Dahlberg/Pixabay
Un Français de 58 ans a partiellement retrouvé la vue grâce à des lunettes spéciales et à une thérapie optogénétique.
Un homme atteint depuis une quarantaine d’années d’une maladie neurodégénérative de l’œil, la rétinite pigmentaire, a petit à petit perdu la vision jusqu’à devenir complètement aveugle. Mais depuis 2019, ce dernier peut à nouveau distinguer des objets, les compter et les attraper.
Ce succès est le résultat de plusieurs années de recherches d’une équipe internationale, dirigée par le chercheur et médecin ophtalmologiste José-Alain Sahel, qui travaille en France et aux États-Unis. L’équipe a mis au point un traitement expérimental d’optogénétique, qui fait l’objet d’un article scientifique publié fin mai dans le journal Nature Medicine.
La rétinite pigmentaire, une maladie génétique, détruit les photorécepteurs de la rétine. Celle-ci perd sa capacité à réagir en présence de lumière. Le but de la thérapie optogénétique est donc de restaurer cette sensibilité à la lumière, en modifiant génétiquement l’œil du patient pour qu’il produise des protéines photosensibles.
Plus précisément, les chercheurs ont injecté dans l’œil le plus atteint du patient un vecteur viral (un virus inoffensif) transportant des gènes d’algue. Une fois dans les cellules ganglionnaires de la rétine (des sortes de « neurones optiques », derniers relais avant le nerf optique), ces gènes donnent les instructions pour produire des protéines, nommées ChrimsonR, qui s’activent sous l’effet de la lumière.
L’équipe a ensuite mis au point des lunettes qui vont de pair avec la thérapie. Ces lunettes possèdent des caméras qui détectent les changements de luminosité. Un projecteur situé dans les lunettes reproduit l’image détectée et envoie un jet de lumière dans les yeux à une longueur d’onde précise pour activer les protéines. La preuve de concept semble concluante : le patient a reçu une seule injection dans les yeux et, 10 mois plus tard, il retrouvait une partie de ses capacités visuelles. Une période d’adaptation a été nécessaire pour entraîner le système visuel à travailler avec les lunettes. Notons que le patient ne voit rien sans ses lunettes. Elles sont donc très précieuses!
« Nous avons testé la fonction visuelle du patient en situation réelle, c’est-à-dire en reproduisant par exemple une rue, un bureau et une maison en laboratoire. Il rapportait qu’il voyait les bandes blanches des passages piétons et qu’il était capable de voir sa tête bouger dans un miroir », décrit José-Alain Sahel, chercheur principal de cette étude. L’homme pouvait aussi différencier devant lui des objets de tailles diverses. L’équipe travaille présentement à améliorer la deuxième génération de lunettes, qui seront plus légères et plus fines.
Pour vérifier l’efficacité du procédé, l’activité cérébrale a aussi été enregistrée. «On a mesuré l’activité du cerveau avec un électroencéphalogramme en multiélectrodes pour vérifier qu’il y avait bel et bien une activation du cerveau qui correspondait à ce que le patient décrivait », indique le chercheur français.
L’optogénétique est une technique très utilisée depuis une dizaine d’années dans le domaine des neurosciences, sur les animaux de laboratoire, mais c’est la première fois qu’elle permet de traiter une maladie humaine. D’autres patients inclus dans l’essai (une quinzaine) ont suivi le même traitement… mais la pandémie a frappé.
« La crise a débuté au moment où le patient commençait à rapporter qu’il voyait un peu. Il ne pouvait donc pas revenir à l’hôpital pour effectuer des tests. D’autres patients qui avaient été traités dans l’essai un peu après n’ont pas pu revenir au laboratoire en raison de la COVID-19. C’est seulement maintenant qu’ils pourront être testés, plus d’un an après avoir été traités », raconte le chercheur.
José-Alain Sahel a bon espoir que ces participants aient eux aussi retrouvé certaines fonctions visuelles. À terme, des personnes aveugles atteintes de différents types de maladies neurodégénératives des photorécepteurs pourraient être éligibles pour le traitement, et la phase 3 de l’essai clinique devrait être lancée sous peu.
Plus de 2 millions de personnes à travers le monde sont touchées par l’une des nombreuses formes génétiques – il y en a plus d’une centaine – de rétinite pigmentaire.
Les traitements de l’avenir
Depuis quelques années, d’importantes avancées améliorent la prise en charge des personnes atteintes de maladies génétiques de l’œil. La professeure et chirurgienne Cynthia Qian est spécialiste de l’une de ces formes rares de rétinite pigmentaire, l’amaurose congénitale de Leber. « Ce n’est pas une maladie visible qui se manifeste dès la naissance. Il n’y pas de façon de le savoir, à moins que ce soit la forme très sévère. Cela peut survenir à l’âge scolaire ou encore, tard dans la vie d’adulte », mentionne la Dre Qian, qui opère quotidiennement des enfants ayant des problèmes de vision au CHU Sainte-Justine. Elle se réjouit d’ailleurs de cette avancée en optogénétique. « Voir quelqu’un qui était aveugle et qui peut maintenant contourner des obstacles permet de réaliser ce que la science a accompli. »
Outre l’optogénétique, deux techniques sont approuvées au Canada pour traiter la perte de vision : les prothèses rétiniennes, qui fonctionnent en convertissant les informations visuelles en signaux électriques transmis au nerf optique, ainsi que la thérapie génique Luxturna, qui consiste à remplacer un gène défectueux (le gène RPE65, en cause dans certaines dystrophies rétiniennes). « À travers le monde, dans les dix dernières années, on a beaucoup employé la prothèse rétinienne, qui redonne une vision assez grossière à des gens ayant perdu la vue. Plus récemment, c’est la thérapie génique Luxturna qui a pris de l’ampleur, surtout à la fin de 2017 au moment où la FDA [la Food and Drug Administration, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux] l’a approuvée. Le Canada a fait de même en octobre 2020 », précise la Dre Qian. Il faut cependant savoir que le Luxturna aide seulement un petit nombre de patients, car le gène RPE65 est responsable d’environ 2 à 5% des cas de rétinite pigmentaire.
Quant à l’optogénétique, la médecin la juge prometteuse, mais rappelle qu’elle est encore en phase expérimentale. « L’optogénétique a un effet plus global en stimulant les cellules, mais pas vraiment de cibles précises. Théoriquement, la technique [d’édition génétique] CRISPR pourrait être plus puissante, car elle est très précise. Elle permet de corriger ou changer le gène qui est fautif. »
L’ensemble de ces avancées sont une lumière au bout du tunnel pour les personnes ayant reçu un diagnostic de rétinite pigmentaire. « Auparavant, on disait à ces patients qu’ils avaient une maladie génétique de l’œil et qu’on ne pouvait rien faire. Maintenant, on a des traitements [comme les prothèses rétiniennes et la thérapie génique], mais il est difficile de retrouver les personnes ayant obtenu un diagnostic il y a 20 ou 30 ans », indique Cynthia Qian.
Son équipe s’affaire en ce moment à étoffer sa banque de données pour identifier les patients qui souffriraient d’amaurose congénitale de Leber, dont certains cas sont attribuables à des mutations du gène RPE65, pour éventuellement les traiter avec la thérapie génique Luxturna.
Écoutez la chronique de notre journaliste Mélissa Guillemette sur la rétinite pigmentaire dans la vidéo ci-dessous :