Bien caché dans la ville de Québec, un long bassin permet de recréer des rivages du Saint-Laurent et de trouver de nouvelles façons de ralentir l’érosion qui les gruge chaque année.
Quiconque a grandi près de la mer ou du fleuve ressent une familiarité à l’écoute du bruit des vagues. L’impact de la déferlante sur la plage, à la fois fort et chuchotant; son rythme irrégulier, mais quand même prévisible; le son des cailloux ou des grains de sable qui s’entrechoquent lorsque la vague se retire… Entendre ces sons sur une plage de la Gaspésie ne surprend pas, mais ici, en plein milieu d’un quartier industriel de Québec ?
Ici, c’est le Laboratoire hydraulique environnemental de l’Institut national de la recherche scientifique : un long canal creusé dans le sol et bétonné que l’on remplit d’eau pour simuler la houle. Avec ses 120 mètres de long, ses 5 mètres de large et ses 5 mètres de profondeur, il constitue la cinquième plus importante infrastructure du genre au monde. « On compte sur les doigts d’une main les canaux hydrauliques de cette envergure, et il est le plus gros en Amérique du Nord », précise le professeur Damien Pham Van Bang, ingénieur côtier et co-responsable scientifique de ce laboratoire de calibre international.
Le canal est bardé de capteurs qui mesurent en continu la vitesse de l’eau et sa hauteur. Mais son élément le plus impressionnant est sans contredit le batteur à houle qui génère les vagues. Il est protégé dans un grand hangar, à l’extrémité nord du canal. Là, moteurs et tuyaux hydrauliques s’enchevêtrent derrière un grand panneau mobile en acier.
Le panneau, une sorte de mur vertical d’une hauteur de 5 mètres, avance et recule dans l’eau à une amplitude, une vitesse et une cadence contrôlées par l’ordinateur, créant des vagues bien régulières (ou pas), de la hauteur et de la fréquence voulues. On peut ainsi générer de petites vagues, une houle de forte tempête, faire varier le niveau d’eau pour recréer l’effet des marées…

Le Laboratoire hydraulique environnemental de l’INRS étudie diverses espèces de plantes pour contrer l’érosion. Image: INRS
L’expérience en cours est baptisée projet INÉDINE (INtercomparaison d’Échelle et de Dimensionalité d’outils de prévision multi-risques: érosion, submersion côtière, INondation par Embacle). Financé par le Réseau Québec Maritime et le Marine Environmental Observation, Prediction and Response Network, elle vise à étudier une plage de la baie Saint-Paul, face à la ville du même nom, dans Charlevoix. « Nous sommes allés prendre des mesures sur place durant l’été 2020, et nous sommes retournés implanter des stations de mesures cet été, explique Damien Pham Van Bang. Nous avons prélevé des échantillons de sédiments, pris des mesures de vélocité du courant et d’amplitude de vague, documenté le profil de la plage. »
Toutes ces informations de terrain ont permis de construire au cours des dernières semaines une réplique de la plage de Baie-Saint-Paul. Le son des vagues s’y fait entendre depuis quelques jours. « Nous avons recréé le même profil de plage, poursuit le chercheur, avec la même pente et des sables du même calibre. Tout d’abord, nous reproduisons le même régime de vague que là-bas et nous étudions comment la plage s’érode et à quelle vitesse. Puis, nous vérifierons si nous pouvons freiner cette érosion par la végétalisation. »
Les semences, qui seront bientôt livrées, permettront de garnir la petite plage de différentes espèces de plantes qui poussent naturellement dans les eaux de la baie Saint-Paul, comme la salicorne et l’élyme des sables. « On tentera de voir quel est le meilleur type de couvert végétal, quelles espèces, quelle densité est la plus efficace. Parfois, pour contrer l’érosion, le meilleur moyen est d’ajouter des sédiments plus grossiers à la plage, mais ça peut gâcher l’attrait pour les résidents ou les visiteurs. Mettre des plantes est un moyen plus doux. »
Pendant que Damien Pham Van Bang termine ses explications, la houle du canal continue de se faire entendre. Les yeux fermés, on se croirait à Baie-Saint-Paul. Il ne manque que les cris des oiseaux marins.
Photo en ouverture: Professeur Damien Pham Van Bang, expert en hydrodynamique et transport sédimentaire. Image: INRS
Le projet de recherche décrit dans cet article et la production de ce reportage ont été rendus possibles grâce au soutien de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).