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24 septembre 2021
Temps de lecture : 4 minutes

Transformer l’héritage toxique de l’exploitation de l’amiante

Ancienne mine d’amiante située près de Thetford Mines. Image: Musée minéralogique et minier de Thetford Mines, Andréanne Boucher 2014/Ministère de la Culture et des Communications

Serait-il possible de donner une deuxième vie aux tonnes de résidus d’amiante qui s’entassent dans les environs de Thetford Mines et Val-des-Sources? Des chercheurs examinent plusieurs possibilités.

Le terme « amiante », maintenant honni, a disparu des bâtiments qui l’affichaient autrefois fièrement (Collège de la Région de l’Amiante, Centre hospitalier de la Région de l’Amiante, MRC de l’Amiante…). Sans la vue de ces grandes montagnes grisâtres entourant la ville de Thetford Mines, on ne pourrait pas soupçonner le passé prospère de cette exploitation minière du début du 20e siècle.

Mais ces haldes, formées de résidus miniers amiantés, pourraient bientôt être transformées pour le mieux selon des recherches scientifiques récentes. Au début des années 2000, des chercheurs québécois comme Guy Mercier, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), ont commencé à s’intéresser à la capacité de ces déchets miniers à séquestrer naturellement le CO2 présent dans l’air ambiant. Cette réaction est même visible à l’œil nu : les résidus ayant réagi avec le CO2 de l’atmosphère produisent des carbonates, qui donnent aux gisements une teinte blanchâtre. « La séquestration se produit dans les sites miniers sur une couche superficielle plus ou moins rapidement pendant une décennie et atteint les couches plus profondes de la halde après une centaine d’années », explique Guy Mercier, qui est maintenant à la retraite.

Capter du CO2

Les chercheurs de l’INRS s’attèlent donc à trouver une façon d’accélérer cette réaction. Dans leur usine pilote, ils utilisent un gros réacteur de 300 litres dans lequel ils introduisent des échantillons miniers. « On prend des résidus miniers que l’on chauffe à des températures comprises entre 600 et 700°C. Ce traitement détruit les fibres d’amiante résiduelles, détaille Louis-César Pasquier, professeur à l’INRS. Le matériel est ensuite broyé finement dans de l’eau et amené dans un réacteur pour réagir et fixer le CO2 de façon permanente sous forme de carbonate de magnésium ».

Selon les estimations de Louis-César Pasquier, il y aurait 2 milliards de tonnes de résidus d’amiante à exploiter au Québec. « Cela représente 750 millions de tonnes de CO2 qui pourraient être potentiellement captées ».

Le procédé fonctionne à petite échelle, mais sera-t-il transposable à plus grande échelle? D’après la chercheuse Jessica Hamilton, ces projets se développent un peu partout dans le monde. Elle a participé notamment à une étude expérimentale où l’on stimulait la captation du CO2 des résidus d’amiante, mais à l’aide de bactéries.

« Même si une partie des objectifs en émission de carbone seront atteints en utilisant entre autres des véhicules électriques et l’énergie éolienne, je pense qu’il y a beaucoup d’intérêt à examiner ces technologies de séquestration du carbone », mentionne-t-elle. Elle ne s’en cache pas, il reste encore du travail à abattre avant de mettre en place un système qui permettra de récupérer les métaux tout en capturant le carbone à un coût non prohibitif. « J’espère que, dans les années à venir, nous serons en mesure d’avoir ce type d’installations à plus grande échelle dans des mines en Australie, au Canada et ailleurs dans le monde », indique la chercheuse qui travaille désormais au synchrotron ANSTO, en Australie.

Si le prix du carbone à la tonne augmente à 170$ en 2030, selon les objectifs du gouvernement fédéral canadien, cela pourrait en effet stimuler les technologies de captation du carbone et favoriser leur implantation dans les industries. D’après un article publié dans Science en septembre 2020, l’industrie minière produit « chaque année quelques 2 milliards de tonnes de déchets solides alcalins et plus de 90 milliards de tonnes de rebuts miniers stockées de façon non sécuritaire ». Voilà un argument supplémentaire pour se départir de ces déchets, autant pour les mines en activité que celles qui sont désormais fermées.

De l’amiante… à l’oxyde de magnésium

L’idée de capter du CO2 avec les résidus des mines d’amiante est séduisante du point de vue environnemental, mais elle intéresse encore plus les industries qui constatent que ce procédé peut produire de l’oxyde de magnésium, qui sert dans l’industrie de l’acier (construction automobile, bâtiment…) et entre dans la composition d’une panoplie de produits, allant du ciment jusqu’aux médicaments comme les antiacides ou les laxatifs.

Les chercheurs de l’INRS collaborent avec les compagnies ECO2 Magnesia et 3R Minéral, qui s’installeront en 2024 près de l’ancienne mine Carey, située à Sacré-Cœur de Jésus. En premier lieu, l’entreprise 3R Minéral décontaminera les résidus (en captant le CO2) pour ensuite les fournir à ECO2 Magnesia. Celle-ci s’affairera à les revaloriser en oxyde de magnésium. Selon les estimations, l’exploitation de ces déchets permettra de produire, avec une faible empreinte carbone, 60 000 tonnes d’oxyde de magnésium par année et de revaloriser 480 000 tonnes de résidus miniers. À titre comparatif, dans le monde, on produit annuellement 12 millions de tonnes d’oxyde de magnésium.

Convoyeur d’une mine d’amiante. Image: Musée minéralogique et minier de Thetford Mines, Andréanne Boucher 2014/Ministère de la Culture et des Communications

Des haldes vertes

Parmi les autres avenues envisagées pour donner une deuxième vie à ces montagnes de résidus, on trouve la phytoremédiation, c’est-à-dire l’utilisation de végétaux pour décontaminer les sols et les eaux souterraines aux alentours. L’entreprise Englobe expérimente ce procédé de phytoremédiation depuis 2015 sur certaines haldes de Thetford Mines et de Tring-Jonction. Les boues municipales et les résidus verts, comme le compost et les feuilles mortes, ainsi que la plantation d’arbres servent à végétaliser ces montagnes.

Le procédé est attirant, mais Louis-César Pasquier se demande jusqu’à quel point il se révélera bénéfique sur le plan environnemental. « Est-ce que ça vaut vraiment la peine de recouvrir ces résidus contaminés et de se priver de leur capacité à absorber des gaz à effet de serre? » s’interroge-t-il.

Peu importe que ces haldes se revêtent de vert ou soient exploitées de multiples façons, le paysage risque de se transformer en faisant peut-être disparaître les dernières traces du passé minier.

La fin du règne de l’or blanc

L’amiante, qui possède une grande résistance à la chaleur, est un minerai fibreux qui entrait jadis dans la fabrication de nombreux matériaux isolants. Cette industrie était la plus importante au Québec jusque dans les années 1930, à tel point qu’on surnommait ce minerai « l’or blanc ».

Aujourd’hui, ces mines ont cessé leur exploitation, car l’exposition à l’amiante s’est révélée être néfaste pour la santé. Le Canada l’a d’ailleurs interdite complètement en décembre 2018 (importation, vente, utilisation, fabrication, etc.).

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Babinet Geneviève
1 année il y a

Article ‘très intéressant !!
Découverte pour moi et Espoir pour l avenir !

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