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Quelque 675 ans après la terrible épidémie, des chercheurs lèvent le voile sur l’origine de la peste noire.
Il s’agit d’un mystère scientifique qui perdurait : quelle est l’origine géographique de l’épisode de peste noire survenu au Moyen Âge? De 1346 à 1353, cette épidémie aurait décimé entre 30 et 50% de la population d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Voilà qu’un groupe de scientifiques (Université de Stirling, Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste et Université de Tübingen) a réussi à circonscrire la provenance de l’épidémie à l’aide de documents historiques et de données génétiques. Les chercheurs, avec des expertises diversifiées en archéologie et en paléogénétique, possèdent désormais des preuves tangibles que la peste aurait commencé dans le nord du Kirghizstan, en Asie centrale, au cours des années 1330. Leurs travaux ont été publiés dans la revue Nature.

Pierre tombale d’une victime de la peste. Photo: A.S. Leybin, août 1886
Le chercheur Phil Slavin, professeur en histoire environnementale à l’Université de Stirling, au Royaume-Uni, raconte être fasciné par l’histoire de la peste noire. « L’un de mes rêves était de pouvoir résoudre l’énigme de son origine », a-t-il confié en conférence presse. En examinant les inscriptions des pierres tombales de deux cimetières chrétiens dans les villes kirghizes de Kara-Djigach et Burana, Phil Slavin a remarqué un pic de mortalité dans les années 1338 et 1339. « Les inscriptions en cyrillique ancien sur dix pierres tombales étaient plus longues que les autres et mentionnaient que la personne était décédée de la peste. Cela a attiré mon attention, car c’était 7 ou 8 ans avant l’arrivée de la peste en Europe », raconte-t-il. Cependant, en raison de l’absence de sources écrites en provenance d’Asie centrale datant de cette époque, il n’y avait aucun moyen d’avancer l’hypothèse selon laquelle ces pierres tombales étaient associées aux débuts de l’épidémie. Le chercheur a approché des collègues à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste et à l’Université de Tübingen, en Allemagne, pour l’aider dans cette quête.
Les scientifiques se sont affairés à extraire l’ADN sur les dents de sept squelettes exhumés de ces tombes. Le séquençage génétique a révélé une infection par Yersinia pestis, la bactérie responsable de la peste, chez trois d’entre eux. « Nous avons découvert que l’épidémie de 1338 [au Kirghizstan] a une souche de Yersinia pestis qui serait l’ancêtre directe de celle qui, huit plus tard, provoquait la peste noire en Europe », a résumé Maria Spyrou, chercheuse postdoctorale spécialisée en archéogénétique à l’Université de Tübingen, lors de la conférence.
Les échanges commerciaux avec l’Europe (perles, coraux, pierres précieuses et vêtements de soie) ont pu ensuite jouer un rôle dans la propagation de la maladie chez les Européens.
De son côté, Johannes Krause, directeur au Département de génétique à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, a comparé les génomes bactériens trouvés sur les sites funéraires du Kirghizstan avec d’autres génomes bactériens de la peste noire européenne. « Ce que nous venons de décrire est vraiment incroyable. L’arbre généalogique de la peste contient cinq souches principales. La souche que nous avons découverte aurait donné naissance à la majorité de celles qui circulent aujourd’hui dans le monde », remarque le chercheur, qui s’intéresse à l’ADN ancien et à l’évolution des pathogènes.
Pour confirmer ses résultats, l’équipe a aussi analysé les souches bactériennes qui infectent les rongeurs, qui en sont les principaux hôtes. « Ce qui est remarquable, c’est que l’on a identifié des souches parentes de la peste [ancestrale] chez des rongeurs de ces régions », affirme Johannes Krause.
Peu de cas de peste humaine
Aujourd’hui, la peste fait peu de victimes humaines. Selon l’Organisation mondiale de la santé, on a dénombré 3 248 cas dans le monde entre 2010 et 2015, dont 584 mortels. La bactérie Y. pestis se propage habituellement par les puces infectées qui parasitent les rongeurs. Les conditions sanitaires actuelles limitent les risques d’infection chez l’humain.
Selon Johannes Krause, les conditions en Europe il y a six siècles étaient en revanche parfaites pour la transmission de la maladie. « La dernière fois que la peste avait sévi en Europe, c’était au 8e siècle. Il n’y avait pas d’immunité et personne ne savait, culturellement et biologiquement, comment s’adapter à cette maladie. »
Faisant un parallèle avec la pandémie actuelle, les chercheurs ont souligné la grande diversité d’agents pathogènes dans les réservoirs animaux. Ces virus et bactéries, qui sont peu étudiés, devraient pourtant faire l’objet d’une surveillance attentive afin de mieux comprendre les maladies épidémiques émergentes, plaident-ils.