Les forêts influencent les changements climatiques de façon parfois insoupçonnée. Des scientifiques se penchent sur le sujet.
Saviez-vous que les arbres qui perdent leurs feuilles en hiver sont utiles pour freiner le réchauffement de la planète ?
C’est que la forêt joue un grand rôle en ce qui concerne l’absorption et la réflexion de la chaleur, comme l’explique Frédérik Doyon, professeur au Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Les couleurs pâles augmentent la réflectivité et les couleurs foncées absorbent la chaleur. Dans une forêt de feuillus, les arbres n’ont pas de feuilles l’hiver, donc, la neige au sol peut refléter efficacement l’énergie du soleil. » Exactement comme les toits blancs, qui réchauffent moins les villes que leurs versions foncées.
Ce type de facteurs plus « champ gauche » est étudié de près par la communauté scientifique : chaque détail compte à l’ère des changements climatiques. N’oublions pas que 30 % des terres émergées de la planète sont couvertes d’arbres !
Frédérik Doyon fait partie de cette armée de scientifiques qui se penchent sur l’aménagement des forêts. Il participe à un grand projet de recherche entamé en 2021 et réalisé en collaboration avec le Bureau du Forestier en chef du Québec. Ces travaux touchent les trois grands types de forêts de la province : de feuillus, mixte et boréale.
Le chercheur travaille également sur la question du sol. Par exemple, dans la forêt boréale québécoise, la coupe dite « avec protection de la régénération et des sols » est la plus fréquente. Selon ce régime, « lorsque les arbres sont rendus à maturité, ils sont quasiment tous récoltés, mais on protège la couche de végétation sous ces arbres matures », mentionne-t-il. Il poursuit : « Le sol devient alors soudainement très exposé à la lumière et à la chaleur. Les bactéries sont stimulées, elles respirent plus vite, se multiplient et émettent beaucoup de carbone dans l’atmosphère. Nous regardons s’il est possible de limiter cet effet avec des coupes partielles qui permettent de garder un couvert de protection. » Pas fou !
Opter pour la fabrication de produits forestiers à longue durée de vie est aussi une façon de maximiser le stockage de carbone relâché quand le produit est détruit. « Nos modèles permettent de comparer deux scénarios afin de voir lequel stockera le plus de carbone dans l’atmosphère, indique Frédérik Doyon. Par exemple, est-il mieux de couper une sapinière lorsque les arbres sont encore petits, après 30 ans — ce qui permettra seulement de faire de la pâte à papier [qui se dégradera rapidement et relâchera son carbone] —, ou d’attendre 70 ans pour que les arbres soient assez gros pour pouvoir faire du bois afin de fabriquer des maisons ? Le tout en tenant compte du fait qu’un arbre capte plus de carbone dans l’atmosphère pendant les 50 premières années de sa vie. »
Attention : ça continue de se corser. « Les 30 premières années après une coupe, le sol produit du carbone, souligne le professeur. Donc, si on coupe tous les 30 ans, on n’y stocke jamais de carbone, et si on coupe tous les 70 ans, on le stocke pendant 40 ans. Il reste à quantifier cela. »
Ce travail donnera au gouvernement des outils pour mieux utiliser le potentiel des forêts et réduire leur empreinte carbone. « Si chaque action peut avoir l’air petite, c’est considérable si on les additionne et qu’on les applique à toute la superficie des forêts du Québec », conclut Frédérik Doyon.
« La biodiversité est très liée à l’âge de la forêt. Les jeunes arbres, les intermédiaires, les matures, les très vieux et ceux qui sont morts sur pied et au sol génèrent une diversité structurale qui crée des niches écologiques pour différentes espèces. »
Pierre Drapeau, professeur au Département des sciences biologiques de l’UQAM
Boiser et reboiser
Au Québec, il y a aussi beaucoup de zones dénudées dans la forêt boréale; pas moins de 1,3 million d’hectares, pour être précis. Ces secteurs sont le résultat notamment d’« accidents de régénération » : c’est le cas si deux feux de forêt se produisent dans un court laps de temps, avant que les arbres n’aient eu le temps de produire des graines.
« L’industrie forestière souhaite planter sur ces sites, qui sont comme des territoires perdus », illustre Jean-François Boucher, professeur au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Et cela tombe bien, car la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui oblige ses pays membres — dont le Canada — à comptabiliser et rapporter ses émissions de gaz à effet de serre, tient compte des efforts de boisement et reboisement de sites dénudés. Le bilan carbone collectif serait donc gagnant.
Or, quelles sont les meilleures stratégies pour planter des arbres sur ces sites ? C’est ce que Jean-François Boucher évalue avec son équipe au moyen de leurs travaux de modélisation. Déjà, le groupe estime que le stockage de carbone par les forêts québécoises pourrait passer du simple au double en procédant à plusieurs petits changements dans l’aménagement des forêts !
« Pour réduire les risques de feux de forêt, lesquels émettent beaucoup de carbone, on peut planter des feuillus qui brûlent beaucoup moins que les conifères, explique-t-il. Donc, par exemple, dans la forêt boréale — où il y a beaucoup d’épinettes blanches et noires, de pins gris et de mélèzes, soit des conifères tous très vulnérables au feu —, on peut planter des feuillus qui poussent bien dans le Nord, comme du bouleau blanc et du peuplier. »
Son équipe se penche également sur l’approche très répandue, en aménagement forestier, qui consiste à laisser la forêt se générer par elle-même après une coupe. « Dans 80 % du temps, on ne plante pas, mais on tente de voir s’il ne serait pas mieux de faire différemment pour augmenter la séquestration de carbone », précise Jean-François Boucher.
Le chercheur fait valoir que, lorsqu’on ne reboise pas, la forêt revient habituellement à l’état dans lequel elle était avant. Néanmoins, y a-t-il moyen d’arriver à un plus fort taux d’arbres par hectare ?
« Par exemple en plantant une certaine quantité d’arbres, répond-il. Aussi, en gardant quelques arbres matures pour qu’ils produisent des graines tout en donnant un minimum de préparation au sol pour qu’elles aient de bonnes chances de s’y enraciner. » C’est là toute l’idée des « coupes partielles ».
L’importance du couvert forestier
Pierre Drapeau, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), s’intéresse lui aussi au couvert forestier. Par contre, son but est tout autre : maintenir une plus grande biodiversité dans les forêts.
« La coupe sous couvert forestier, communément appelée coupe partielle, signifie qu’on ne récolte pas tous les arbres matures comme dans la coupe avec protection et régénération des sols, nuance-t-il. On en récolte seulement une partie, puis on revient périodiquement pour en récolter d’autres, par exemple tous les 30 ans. Plusieurs travaux ont montré que le couvert forestier maintient beaucoup mieux la biodiversité que lorsqu’on passe d’un coup d’un milieu fermé à un milieu ouvert. »
Le chercheur réfère ici autant aux végétaux qu’aux animaux. « La biodiversité est très liée à l’âge de la forêt, dit-il. Les jeunes arbres, les intermédiaires, les matures, les très vieux et ceux qui sont morts sur pied et au sol génèrent une diversité structurale qui crée des niches écologiques pour différentes espèces. »
Pierre Drapeau propose depuis plusieurs années d’aller vers un aménagement forestier plus durable en diversifiant les types de coupes. « En diminuant les écarts entre la forêt naturelle et la forêt aménagée, on souhaite assurer à long terme le maintien des multiples biens et services rendus par la forêt, comme la création d’habitats pour la faune, la filtration de l’eau qui se retrouve dans les bassins versants et la séquestration de carbone, tout en réalisant des bénéfices économiques avec la récolte du bois, précise-t-il. Bien qu’on ait réalisé quelques progrès, il reste encore beaucoup à faire pour aménager la forêt de façon plus durable. C’est toute la société qui en sortira gagnante. »
Un nouvel observatoire
La création de l’observatoire régional de recherche sur la forêt boréale a été annoncée en mai 2022 à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Son objectif : analyser les enjeux forestiers propres au Saguenay–Lac-Saint-Jean et à ses écosystèmes pour un aménagement durable. Il est dirigé par André Pichette, professeur au Département de sciences fondamentales de l’UQAC et directeur du Centre de recherche sur la Boréalie, qui réunit des scientifiques actifs dans le domaine des ressources renouvelables de la forêt boréale.
L’observatoire permet de réunir des expertises de différentes disciplines pour permettre aux spécialistes de se pencher sur plusieurs questions qui touchent notamment à l’exploitation de la forêt, aux Premières Nations, aux changements climatiques et à la biodiversité. Il effectue aussi un travail de veille, de diffusion et de transfert des connaissances.
Le gouvernement du Québec a investi 900 000 $ dans la création de cet observatoire.