Les friches, soit les terres abandonnées notamment dans le secteur agricole, sont peu intéressantes d’un point de vue environnemental. Et si on y plantait des arbres ?
D’anciennes terres agricoles subissent depuis l’été dernier une transformation extrême nouveau genre à Pike River, en Estrie.
« C’est une première au Québec et, à ma connaissance, dans le monde », affirme Daniel Kneeshaw, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Lorsqu’on reboise un terrain, on ne plante traditionnellement que des semis, soit des arbres de deux ou trois ans. On est très loin de la véritable forêt, où la diversité des tailles et des espèces est grande.
Pour accélérer le processus à Pike River, des arbres de quelques mètres de haut et des arbres matures ont également été plantés. C’est sans oublier les plantes herbacées et le dépôt d’arbres morts au sol. « Dans ces arbres, on trouve des champignons, des bactéries et d’autres organismes très différents de ce qu’on trouve dans les jeunes arbres », précise Daniel Kneeshaw.
Ce titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur la résilience et les vulnérabilités des forêts tempérée et boréale aux changements climatiques a proposé ce projet audacieux au ministère des Transports du Québec (MTQ), qui s’était engagé à compenser la coupe d’arbres nécessaire à la construction du tronçon de près de 38 km qu’il manquait à l’autoroute 35 pour conclure le corridor Montréal-Boston. Et le MTQ a osé !
En 2020, un projet pilote a été lancé, et il s’est avéré un succès. Pas moins d’une quarantaine d’arbres matures ont été transplantés grâce à une machine spécialisée.
« D’habitude, elle est utilisée pour transplanter des arbres en ville, indique le chercheur. En forêt, il y a beaucoup plus de défis; souvent, les racines de plusieurs arbres sont entremêlées, et si on en coupe trop, l’arbre a moins de chances de survie. On a donc choisi des arbres plus isolés. »
Expérience sur 12 ans
L’été dernier, l’équipe de Daniel Kneeshaw a signé un contrat de près de 7 millions de dollars sur 12 ans avec le MTQ pour commencer un projet de 25 hectares, toujours sur des friches. Cette initiative permettra aussi de faire des expérimentations avec différentes espèces.
« Par exemple, avec le réchauffement climatique, certains pensent qu’on pourra planter des arbres du sud dans le nord, mais il y a des gels tardifs et hâtifs dans le nord, remarque-t-il. Les arbres du sud ne sont pas habitués à ces extrêmes. On fera des tests avec des semis de différentes espèces des États-Unis et de l’Abitibi. »
L’objectif est de créer un écosystème. « On ne réussira sûrement pas à recréer tout ce qu’on trouve en nature, mais on s’en inspire pour avoir de meilleurs résultats que ceux qu’on a actuellement », fait valoir le chercheur.
Pour relever ce défi, il travaille notamment avec l’ornithologue Pierre Drapeau. « Le type d’espèces d’arbres plantées et la structure de la forêt ont des répercussions sur la venue des oiseaux », dit Daniel Kneeshaw.
Avec l’expertise du biologiste François Fabianek, l’équipe tentera aussi de créer des habitats, ou encore d’augmenter la quantité d’insectes, afin de favoriser la présence de chauves-souris menacées. Tanya Handa est quant à elle l’experte de la microfaune au sol, celle qui favorise la décomposition de la matière organique.
Les premiers arbres plantés seront à croissance lente, et l’équipe laissera des espaces pour y planter plus tard ceux qui sont à croissance rapide. « On verra si on réussit à recréer une forêt plus rapidement qu’avec la méthode traditionnelle et, si oui, à quel point, explique le professeur. Et est-ce que tous les organismes ou seulement certains répondront positivement à la méthode ? »
L’équipe prévoit obtenir des résultats d’ici cinq ans. « On apprendra beaucoup de ce projet et, ensuite, on pourra adapter notre méthode pour la rendre plus performante », conclut Daniel Kneeshaw.
Les friches agricoles sont nombreuses en Abitibi-Témiscamingue. Différents acteurs sont tentés d’y planter des arbres, question de rendre ces terres à nouveau productives. Néanmoins, avec les arbres qui poussent à une distance égale les uns des autres, les plantations ressemblent peu à une forêt naturelle et n’ont généralement pas une grande acceptabilité sociale.
C’est du moins ce que remarque Annie DesRochers, professeure à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), qui a développé une expertise dans les plantations à croissance rapide, lesquelles peuvent facilement être aménagées sur des friches puisqu’on n’y trouve pas de gros débris forestiers.
Or, ces sites fournissent-ils moins de services environnementaux que les forêts naturelles ? Se pourrait-il, au contraire, qu’ils soient même plus efficaces à certains égards ?
La chercheuse, qui est également titulaire de la Chaire industrielle CRSNG [Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada] en sylviculture et production de bois, cherche d’abord à montrer et mesurer l’effet de la plantation d’espèces exotiques à croissance rapide sur la biodiversité végétale du sous-bois dans les plantations sur friche. « On plante souvent du peuplier hybride : du peuplier baumier indigène, qu’on mélange avec du peuplier japonais ou avec du peuplier noir de l’Ouest pour faire des arbres qui poussent plus vite », explique Annie DesRochers.
Son équipe s’intéresse de plus à l’origine des terres abandonnées. « Est-ce qu’on y cultivait du foin ? Ou est-ce une friche engendrée par une coupe mal faite où la forêt ne s’est pas régénérée ? Est-ce que le type de friche influence comment poussent les arbres à croissance rapide qu’on plante ? On regarde aussi l’effet sur la biodiversité végétale de même que sur le carbone dans le sol et le microbiome du sol », précise-t-elle.
Précieux sol
La séquestration du carbone dans le sol est d’ailleurs un autre élément qui est étudié de près par l’équipe de la chercheuse. Quand des plantes ou des arbres meurent et tombent au sol, ils forment de la matière organique qui enrichit ce dernier tout en conservant du carbone. « Plus le sol séquestre de carbone, plus on réduit l’effet de serre, indique Annie DesRochers. L’une des solutions évoquées est de faire plus de plantations d’arbres à croissance rapide, parce qu’ils séquestrent beaucoup de carbone dans l’atmosphère. Mais on ne sait pas s’ils séquestrent plus de carbone dans le sol. »
Lancée à la COP21 (Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) en 2015, l’initiative 4 pour 1000 soutient que si on augmentait le stock de matière carbone organique dans le sol de 0,4 % par an, on réglerait le problème de l’augmentation du carbone dans l’atmosphère. « On regarde donc si on pourrait mieux gérer les plantations pour que le sol garde plus de carbone », résume la professeure DesRochers.
Les friches seront donc un terrain d’étude, et de plantation, pour plusieurs années encore !
Image en ouverture: Friche en cours de reboisement près de la ville d’Amos. Image: Lyne Blackburn