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02 décembre 2022
Temps de lecture : 3 minutes

En Iran : emprisonner l’esprit des manifestants

Image: oscar h/Pixabay

Des jeunes manifestants iraniens sont arrêtés et enfermés dans des institutions psychiatriques pour y être « réformés ». Entrevue avec un psychiatre qui dénonce ces abus.

La mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, après son arrestation par la police des mœurs iranienne, a déclenché dans le pays un mouvement de protestation qui a fait des centaines de morts. Ces manifestations, considérées comme illégales par le pouvoir, ont mené à de nombreuses arrestations et condamnations à mort. Parmi les victimes se trouvent aussi des jeunes de moins de 18 ans.

Certains d’entre eux sont arrêtés et enfermés dans des institutions psychiatriques, au motif qu’ils seraient devenus « antisociaux et devraient être réformés », selon le ministère de l’Éducation d’Iran. Dans une lettre publiée dans The Lancet, quatre médecins psychiatres s’inquiètent du sort réservé à ces jeunes.

Nous avons joint l’un des co-auteurs de cette lettre, le Dr Artin Mahdanian, médecin spécialisé en psychiatrie, qui exerce à Montréal et aux États-Unis. Il a grandi en Iran et vit au Canada depuis 2013.

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Québec Science : Quelles sont les mesures psychiatriques et correctives utilisées par le gouvernement iranien contre les manifestants ?

Dr Artin Mahdanian, médecin spécialisé en psychiatrie, dénonce l’emprisonnement de jeunes manifestants iraniens par les autorités.

Artin Mahdanian : Il est difficile d’obtenir des informations sur le terrain en Iran puisque les manifestations sont toujours en cours. Le gouvernement a fermé Internet et les médias et il ne laisse pas les journalistes indépendants se rendre dans le pays. Les personnes qui se trouvent à l’intérieur de l’Iran ont très peur de rapporter des choses à celles qui sont à l’extérieur, car elles pensent qu’elles seront persécutées par le gouvernement. Nous savons cependant qu’il y a eu de nombreux événements de violation des droits humains.

Dans une entrevue accordée aux médias d’État, le ministre de l’Éducation a déclaré que les jeunes de moins de 18 ans qui manifestent contre le gouvernement sont envoyés dans des institutions psychologiques pour y être « corrigés » pour leur mauvais comportement. Ces protestataires, admis de force, garderont les stigmates de cette détention psychiatrique.

De nombreux rapports soutiennent également que les personnes arrêtées, qui sont blessées, se voient refuser des soins médicaux alors qu’elles sont sous la garde du gouvernement et des agents de la police.

Les policiers peuvent aussi se rendre dans les hôpitaux à la recherche de manifestants blessés et les arrêter sans leur laisser le temps d’être soignés.

Le gouvernement a employé des ambulances pour transporter la police antiémeute parce qu’il ne voulait pas que les manifestants sachent que des forces de sécurité étaient présentes. L’utilisation détournée des ambulances va à l’encontre des droits humains et de la protection des médecins, et de ce que ces derniers défendent. Il a également été rapporté que des médecins et des professionnels de la santé ont été poursuivis pour avoir traité et fourni des soins médicaux aux manifestants. D’autres informations circulent, qui restent à vérifier, selon lesquelles il y aurait abus de somnifères, de tranquillisants, de sédatifs et d’autres médicaments chez les manifestants détenus dans les prisons pour obtenir des informations.

L’American Psychiatric Association (APA) condamne toute utilisation de la psychiatrie, autre que le traitement des troubles de la santé mentale. Les services psychiatriques ne doivent pas être détournés à des fins sociales, personnelles ou politiques. Il s’agit là de l’abus le plus important et le plus grave de la pratique.

QS : Vous avez écrit avec vos collègues une lettre publiée dans The Lancet à ce sujet. Pourquoi?

AM : L’objectif principal est de souligner le recours abusif des services psychiatriques chez les manifestants et les jeunes. Nous avons écrit la lettre pour que les médias, les associations psychiatriques et les organisations internationales prennent conscience de cette situation et qu’il y ait plus de surveillance. Nous aimerions avoir une enquête indépendante sur le terrain de la part d’organismes internationaux pour faire la lumière sur ces abus.

Nous savons que l’ONU organisera prochainement un sommet pour examiner les violations des droits en Iran. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et l’APA ont aussi condamné l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques.

Il y a donc des enquêteurs indépendants et des professionnels qui observent ce qui se passe en Iran. En attirant l’attention sur ce problème, nous voulons que les organisations internationales prennent position contre les abus politiques de la psychiatrie, qui sont préjudiciables. Il devrait donc y avoir une position unanime contre ces pratiques pour permettre de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il sache que nous surveillons cela.

En tant qu’experts médicaux, nous avons aussi une responsabilité de faire entendre notre voix chaque fois que nous avons le sentiment qu’il y a violations des droits humains, en particulier lorsque cela touche la psychiatrie et la santé mentale des populations. Nous signalons que nous ne resterons pas silencieux face à violation des droits humains.

QS Avez-vous des proches ou de la famille en Iran?

AM Oui, tous les membres de ma famille sont en Iran. Je suis le seul à avoir déménagé. Mes parents sont âgés et ne quittent pas la maison. J’ai également trois frères et une sœur qui travaillent là-bas. Et la plupart du temps, quand ils quittent la maison, ils ne savent pas s’ils vont rentrer ou pas à cause de la situation dans la rue. Il y a des manifestations dans plusieurs villes (Téhéran, Ispahan, Zahedan). Beaucoup de gens en Iran veulent voir des changements dans le pays. La situation est très difficile là-bas.

QS Avez-vous espoir qu’un changement se produise en Iran ?

AM L’espoir est la seule chose que nous avons. Et en tant que psychiatre, mon travail est aussi de démontrer qu’il y a toujours de l’espoir. Donc, oui, il y a définitivement de l’espoir pour que le changement s’opère. Le gouvernement a le choix entre écouter ou continuer à s’opposer aux manifestants.

À ce jour, on estime que plus de 400 personnes sont mortes, dont plus de 50 mineurs, depuis le début des manifestations en Iran. Je crois donc qu’en élevant nos voix au niveau mondial et en faisant pression sur le gouvernement, cela peut provoquer des changements progressifs ou soudains vers un plus grand respect des droits. J’espère que le gouvernement iranien écoutera son peuple.

 

* Les propos ont été revus et condensés pour plus de clarté.

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