Image: Michael Kleinsasser/Pixabay
Les tabous entourant la sexualité féminine, les stéréotypes de genre et les biais envers les femmes ont longtemps freiné la recherche. Le déblocage actuel est jouissif !
Les serpents femelles ont un clitoris, apprenait-on récemment dans les Proceedings of the Royal Society B. Ledit clitoris (une structure double, donc deux clitoris, en fait !) n’était pourtant pas difficile à trouver en disséquant un spécimen. « Vous enlevez la peau et c’est juste là, devant vous », a expliqué à New Scientist l’une des auteures de l’article scientifique détaillant la découverte, la professeure de l’Université d’Adélaïde Megan Folwell. Son équipe a trouvé des clitoris chez les neuf espèces de serpent étudiées et soupçonne que la plupart des autres en ont aussi.
Quelle nouvelle ! La question qui suit inévitablement : pourquoi ne le savait-on pas déjà ? Vous l’aurez deviné : les pénis de serpents sont étudiés depuis des décennies, tandis que les organes sexuels des femelles avaient à l’évidence été négligés. La faute aux tabous entourant la sexualité féminine humaine peut-être ? L’héritage du passé est lourd, particulièrement celui qui concerne le membre honteux, surnom donné au clitoris par le premier médecin à l’avoir disséqué, le Français Charles Estienne, au 16e siècle.
De la même façon, les ornithologues ne pensaient pas que les femelles oiseaux chantaient. On a longtemps présumé que les mâles poussaient la note pour impressionner les dames, qui, elles, choisissaient ensuite leur prétendant pour l’accouplement. Une étude de 2019 a montré que, chez 64 % des 1023 espèces étudiées, les femelles chantent aussi et probablement pour les mêmes raisons. Tout un revirement !
Les éthologues n’avaient quant à eux pas remarqué que le leader d’une meute de loups est souvent une femelle. On supposait que le loup le plus fort et le plus gros dominait le groupe. Des milliers d’heures d’observation au parc national de Yellowstone, aux États-Unis, ont finalement révélé au naturaliste Rick McIntyre que les mâles exécutent les ordres des femelles, qui sont les véritables commandantes ! Son livre sur le sujet, The Alpha Female Wolf, préfacé par Jane Goodall, est paru en octobre dernier.
Chez les humains
On s’entend : les serpents et oiseaux femelles ainsi que les louves n’ont pas souffert du manque de curiosité des scientifiques. Sauf que les préjugés à l’égard des capacités des femelles existent aussi envers l’espèce humaine.
Ainsi, les historiens et archéologues ne soupçonnaient pas que les femmes de l’Antiquité et du Moyen Âge pouvaient être des guerrières ou d’excellentes cavalières. Le cas le plus connu est celui d’un squelette de Viking mis au jour en 1878 en Suède. Sa tombe comprenait des armes, des boucliers, des étriers et deux chevaux ; c’était assurément un guerrier. Il a fallu attendre 2017 pour apprendre qu’il s’agissait d’une femme, test d’ADN à l’appui. Certains se demandent si les objets exhumés ne pourraient pas appartenir à son mari. Soit. Mais personne ne se posait la question de la propriété des objets lorsque le Viking était vu comme un homme…
L’effet du désintérêt pour le féminin se fait sentir dans la recherche médicale. Les neuroscientifiques et médecins ont ignoré pendant trop longtemps que les manifestations de l’autisme chez les fillettes étaient différentes de celles des garçons. Tellement différentes que les filles sur le spectre ne sont pas repérées par les outils standards de diagnostic et se trouvent largement exclues des recherches sur le sujet.
Et comme vous le verrez dans notre numéro de janvier-février, il aura fallu attendre 2022 pour qu’on s’aperçoive que le stress influe différemment sur le cerveau des souris femelles, ce qui semble vrai pour l’humain aussi. Le traitement de la dépression, qui peut survenir en raison d’un stress chronique, pourrait être chamboulé. « En étudiant seulement les souris mâles pendant des décennies, les scientifiques ont contribué à concevoir des classes de médicaments qui fonctionnent bien chez les hommes, mais moins bien chez les femmes », a dit la professeure de l’Université Laval Caroline Ménard à notre journaliste.
Décourageant, tout cela ? Un brin. Excitant ? Oh oui ! Cette époque est incroyable. Les scientifiques réalisent l’ampleur de tout ce qu’il reste à découvrir. Que ce soit un médicament ou un clitoris !