Les nouvelles technologies se sont taillé une place de choix dans notre quotidien. De plus en plus de scientifiques s’intéressent à leur potentiel dans le dépistage et l’intervention auprès de populations aux prises avec des problèmes de santé mentale. Et si votre téléphone pouvait parler à votre place ?
Au début de la pandémie de COVID-19, l’équipe du Laboratoire de remédiation cognitive et de neuroimagerie (CRANILAB) a vu ses projets s’arrêter. « C’était difficile de faire de la recherche chez des humains alors que toutes nos installations étaient fermées », se souvient Synthia Guimond, professeure au Département de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais et fondatrice du CRANILAB.
L’équipe ne pouvait se résoudre à rester les bras croisés malgré la distanciation sociale imposée par les gouvernements. Pour poursuivre ses travaux, elle s’est donc tournée vers les téléphones intelligents comme mode de collecte de données, en mai 2020. Ces appareils permettent non seulement de récolter des données actives, grâce à des questionnaires et à des tests cognitifs, mais aussi des données passives, par exemple sur les déplacements ou le nombre d’appels effectués par le ou la propriétaire du téléphone.
Une centaine d’étudiants et d’étudiantes universitaires ont répondu à l’appel du CRANILAB, qui souhaitait suivre cette population alors que son quotidien était bouleversé par la pandémie. « On mesurait par exemple le niveau de stress et le niveau de symptômes dépressifs », relate Synthia Guimond.
L’équipe en est aujourd’hui aux balbutiements de l’analyse des résultats. « On voit déjà un lien qui perdure dans le temps entre l’utilisation problématique des médias sociaux et la santé mentale des jeunes », explique la professeure Guimond, précisant que la base de données permettra de poser mille et une autres questions de recherche au cours des prochaines années.
Améliorer l’accès aux soins
Même si le moment où un téléphone permettra de mesurer avec précision l’état de santé mentale d’un individu n’est pas encore arrivé, les travaux menés par Synthia Guimond démontrent que l’appareil mobile que possèdent plus de quatre Québécois sur cinq peut déjà être utile au traitement.
« Le psychiatre n’a pas vraiment le temps de faire une évaluation cognitive poussée. Il va demander au patient s’il a des difficultés avec sa concentration, sa mémoire. Mais on sait que l’opinion subjective n’est pas toujours corrélée avec les fonctions cognitives réelles. Les outils [qui pourraient se trouver dans le téléphone du patient ou de la patiente] – par exemple, des tests cognitifs réalisés sur une base régulière –, ajoutés à l’entrevue clinique, apporteraient une information utile », indique celle qui s’intéresse particulièrement à la population atteinte de schizophrénie.
Outre les téléphones intelligents, la réalité virtuelle, de plus en plus utilisée dans les établissements de santé, ouvre aussi une multitude de possibilités. C’est le cas notamment pour les interventions de remédiation cognitive, une forme de thérapie qui aide le patient à développer des stratégies pour atténuer les impacts de ses difficultés cognitives sur son quotidien.
Synthia Guimond collaborera d’ailleurs à une étude pancanadienne avec les universités McGill, de Toronto et de la Colombie-Britannique pour voir si ce type de thérapie, offerte à distance via Internet, pourrait s’avérer bénéfique aux personnes qui vivent avec la schizophrénie.
« Ce serait beaucoup plus facile de faire une intervention sur huit ou dix semaines si la personne pouvait rester chez elle. Ça donnerait accès à des traitements de pointe à des gens pour qui se déplacer chaque semaine n’est pas possible », espère-t-elle.
Illustration: Sophie Benmouyal