Aimez-vous votre appartement, votre immeuble, votre quartier ? Ou sont-ils plutôt source d’irritation ? Ce n’est pas qu’une question de coquetterie : deux chercheuses s’intéressent aux effets de l’environnement bâti sur la santé mentale.
Lorsqu’on vit dans une habitation à loyer modique (HLM), on doit d’abord se considérer comme chanceux d’avoir pu s’y installer. Mais, rapidement, des failles peuvent apparaître.
C’est pour combler ces failles que Janie Houle, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, a développé Flash sur mon quartier. Il s’agit d’une trousse d’outils pour mener des actions collectives afin d’améliorer un milieu de vie. Elle s’adresse aux intervenants sociocommunautaires des offices municipaux d’habitation du Québec, qui administrent les HLM, et aux organismes communautaires de soutien aux locataires.
« Dans ces immeubles, il y a une forte concentration de personnes présentant différents facteurs de vulnérabilité, mais aussi beaucoup de forces, remarque la psychologue communautaire. J’ai eu envie de m’immerger dans ce milieu pour mettre au point une démarche de développement du pouvoir d’agir collectif. Je voulais ainsi qu’on puisse améliorer l’environnement résidentiel, qui a un impact sur la santé mentale des personnes qui l’habitent. »
Pour élaborer la trousse lancée l’automne dernier, l’équipe de recherche a mené ses travaux dans six HLM dans autant de villes du Québec, de 2014 à 2021.
Les différentes activités proposées visent d’abord à réunir un groupe de personnes pour évaluer les aspects positifs et négatifs de leur environnement. Cela peut concerner les bâtiments, les services et les relations interpersonnelles. Ensuite, le groupe doit décider des actions prioritaires pour améliorer le milieu de vie et le bien-être des personnes qui y habitent, et les planifier. « Les principaux irritants évoqués par les résidents touchaient à l’entretien des lieux, à la propreté, aux relations avec les employés de leur office municipal d’habitation et à l’accès aux laveuses et aux sécheuses », énumère Janie Houle.
Des laveuses aux portes-patio
Saviez-vous que, dans certaines HLM, chaque duo de laveuse et de sécheuse sert 16 familles ? « Plusieurs décideurs ne sont même pas au courant de cette réalité, ou ils en banalisent les effets, précise la chercheuse. Il y a pourtant beaucoup de risques de conflits, en plus des problèmes de punaises. Il faut remettre en question ce ratio. Mais pour le moment, les résidents et résidentes ont décidé de développer un système de communication pour organiser qui utilise les machines et quand afin de réduire le risque de conflits. »
Au cours de la démarche, les locataires d’un autre immeuble ont demandé d’obtenir des tables à pique-nique pour se réunir à l’extérieur pendant l’été. « Cela a été refusé sous prétexte que les résidents allaient les briser », se désole la chercheuse.
Un exemple de projet qui a abouti, cette fois : celui d’un immeuble pour aînés dont le seuil des portes menant aux balcons était trop élevé pour permettre aux résidents et résidentes de sortir de façon sécuritaire. « L’immeuble était vieux, sans climatisation, et les personnes se retrouvaient clouées à l’intérieur, explique Janie Houle. Finalement, le problème a été réglé par un changement des portes-patio. Notre démarche a contribué à cette victoire. »
La professeure, directrice de la Chaire de recherche sur la réduction des inégalités sociales de santé, constate que les locataires des HLM ont beaucoup de difficulté à faire réaliser leurs aspirations, même lorsqu’il s’agit de changements banals. Les gains dépendent du bon vouloir du personnel présent.
« Mais même si les changements réalisés sont modestes, on voit que la démarche en soi a eu des effets bénéfiques sur la santé mentale des personnes qui résident dans l’immeuble, parce qu’elle leur a permis de sortir de l’isolement, de mieux connaître leurs voisins et de développer un sentiment d’appartenance à leur lieu de résidence », explique-t-elle.
Vous sentez-vous en sécurité dans votre quartier ?

Carolyn Côté-Lussier, professeure spécialisée en criminologie à l’Institut national de la recherche scientifique. Photo: Institut national de la recherche scientifique
Un autre élément qui influence la santé mentale des personnes est le sentiment de sécurité. Toutes les villes espèrent offrir un milieu où chacun se sent bien. Pour mettre le doigt sur les éléments qui font une différence, Carolyn Côté-Lussier, professeure spécialisée en criminologie à l’Institut national de la recherche scientifique, lance un projet sur l’ensemble de l’île de Montréal. Elle ne veut pas s’en tenir au taux de crime, puisque les deux tiers des méfaits ne sont pas rapportés à la police. Elle souhaite plutôt mesurer l’hostilité des quartiers.
Comment ? « Je regarderai la victimisation autorapportée, qui est une donnée de Statistique Canada qui indique la proportion de crimes non rapportés à la police, puis le vécu de discrimination et, enfin, la perception d’un manque de sécurité au niveau du quartier », illustre celle qui dirige le laboratoire PERSONS sur la psychologie et l’épidémiologie du crime et du sentiment d’insécurité.
La professeure Côté-Lussier s’intéressera aussi à la présence policière et aux pratiques qui influencent positivement ou négativement la santé mentale des gens, selon leur identité. « Par exemple, un grand nombre de policiers et d’interpellations dans un quartier peut être positif pour une femme, indique la chercheuse. Mais, pour un jeune homme racisé, cela peut nuire à sa santé mentale, parce qu’il sentira qu’il a un grand risque d’être interpellé. Nous ferons une analyse fine des résultats pour déceler les nuances. »
Un autre élément qui influence la santé mentale des personnes est le sentiment de sécurité. Toutes les villes espèrent offrir un milieu où chacun se sent bien.
Dans un autre projet de recherche en cours, elle s’intéresse à la peur du crime. « Une personne peut rattacher des émotions positives ou négatives à des lieux, indique Carolyn Côté-Lussier. Cela peut faire en sorte qu’elle empruntera un chemin plutôt qu’un autre, par exemple. »
Est-il possible de changer ces émotions en changeant le décor ? La chercheuse développe une approche pour simuler un environnement urbain sur ordinateur, dans lequel elle pourra augmenter le niveau de verdure et d’éclairage. « Pour mesurer l’effet de ces changements chez les gens, j’analyserai les réactions émotionnelles qui se produisent automatiquement sur leur visage, indique la chercheuse. Ainsi, nous pourrons voir quelles modifications du cadre bâti sont les plus susceptibles d’entraîner des réactions positives. »
Dans les prochaines années, Carolyn Côté-Lussier a comme ambition de créer un laboratoire immersif. Grâce à un environnement immersif ou de réalité virtuelle, les participants et participantes à ses études pourront se déplacer dans des milieux urbains adaptés en fonction des tests. La ville de demain, espérons-le, sera sécuritaire et son design, basé sur des données probantes !
Illustration: Sophie Benmouyal