Depuis la révolution industrielle, la planète s’est réchauffée de 1,1 °C. La majorité de cette hausse a été enregistrée depuis 1975 et ses effets sont palpables d’un bout à l’autre de la planète. On met la « clim » en marche ?
Le climatiseur tel qu’on le connaît aujourd’hui a une centaine d’années. Inventé aux États-Unis, il utilise un cycle de condensation et d’évaporation d’une substance frigorigène pour capter la chaleur d’un bâtiment et la renvoyer dehors.
L’appareil a d’abord été présenté comme une façon d’augmenter la productivité du personnel des usines. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, on l’a vendu en masse aux ménages pour leur confort : c’était le progrès.
Et comme on n’arrête pas ce dernier, en 2020, on dénombrait deux milliards de climatiseurs sur la planète, principalement aux États-Unis et en Chine. La croissance du marché sera de 6,8 % par an d’ici 2030, selon un rapport récent de la firme Expert Market Research, surtout en raison des ventes dans des pays très chauds comme l’Inde, les Philippines et l’Indonésie (les ménages commencent à acheter des appareils de climatisation quand leurs revenus passent le cap des 10 000 $ par an, d’après une étude de 2021). En 2050, il devrait y avoir cinq milliards de climatiseurs sur la planète.
C’est une très mauvaise nouvelle pour la Terre. Quoi qu’en dise l’industrie, les climatiseurs ont très mal vieilli ; ils ne sont pas du tout adaptés pour notre siècle, pour les défis actuels, et encore moins pour une utilisation dans les pays qui en ont le plus besoin. (Saviez-vous que 31 000 personnes meurent littéralement de chaleur chaque année en Inde ? Là-bas, une famille qui se procure un appareil de climatisation peut s’attendre à se faire offrir des douceurs par le voisinage, pour célébrer.)
La façon dont la performance des appareils est évaluée témoigne de leur anachronisme : les tests sont réalisés à 35 °C et à un faible taux d’humidité, un environnement qui ressemble peut-être à l’Europe et à l’Amérique du Nord, mais qui n’a rien à voir avec les pays du Sud. Pourtant, chaque degré supplémentaire influe sur la consommation totale d’énergie, et déshumidifier une pièce demande beaucoup, beaucoup d’énergie (l’eau est condensée sur un élément froid, de la même façon qu’il y a 100 ans, ce qui est très peu efficace). En 2022, dans la revue savante Joule, une équipe a même montré que l’énergie requise pour la déshumidification est plus grande que pour le refroidissement. Pourquoi ne pas mettre au point des tests adaptés à différents climats pour avoir une idée plus juste de l’efficacité des appareils dans leur contexte d’utilisation réel ? C’est ce que réclame le Rocky Mountain Institute, un groupe de réflexion américain sur l’énergie.
Nouvelle génération demandée
Il est également temps de concevoir une nouvelle génération de climatiseurs. Ils ont été optimisés au maximum ces dernières décennies (des règles plus strictes aux États-Unis et en Europe ont mené à une réduction de la consommation énergétique des appareils de 15 %, selon BloombergNEF), mais il faut maintenant donner un coup de barre !
Les défauts de ces appareils sont clairs. D’abord, en évacuant la chaleur des maisons, ils créent des îlots de chaleur dans les villes. Ensuite, les substances frigorigènes qu’ils contiennent sont de puissants gaz à effet de serre, de 1000 à 5000 fois plus puissants que le CO2 ; toute fuite lors de l’installation ou de la fin de vie d’un appareil contribue aux changements climatiques. Enfin, l’énergie qu’ils consomment à l’échelle mondiale, souvent de source fossile, est immense : l’équivalent chaque année de deux fois et demie l’énergie utilisée par tout le continent africain. Et si rien n’est fait, la demande énergétique associée à la climatisation triplera d’ici 2050, prévenait l’Agence internationale de l’énergie, dès 2018.
Pour garder nos bâtiments confortables durant les canicules, ne pourrait-on pas imaginer des concours pour faire émerger de meilleures idées ? Un peu comme le Défi de l’alimentation dans l’espace lointain, organisé par la NASA et l’Agence spatiale canadienne pour inventer de nouvelles façons de nourrir les astronautes et qui finance des projets créatifs.
Des équipes de recherche coréennes et américaines travaillent par exemple sur un revêtement transparent pour les fenêtres qui bloquerait les rayonnements ultraviolets et infrarouges du soleil, en plus de renvoyer la chaleur au-delà de l’atmosphère. D’autres travaillent sur des peintures blanches pour recouvrir bâtiments, voitures, trains et avions capables de rejeter presque la totalité de la chaleur. Reste à voir si ces solutions sont réalistes et si elles mèneront vraiment à des améliorations…
En attendant
On peut aussi revenir à la base : mieux isoler et ventiler les bâtiments, verdir les villes. On se protège de la chaleur depuis l’Égypte ancienne, laissons-nous inspirer par le génie d’autrefois !
En attendant le progrès, le vrai, commençons par régler la climatisation à un niveau raisonnable, comme l’ont fait la Grèce, l’Italie et l’Espagne l’été dernier dans les bâtiments et les lieux publics, en réponse à la crise énergétique déclenchée par le conflit en Ukraine : on s’y limitait à 27 °C. L’humain n’a pas besoin de vivre à 20 °C.
Obligeons aussi les magasins à garder portes et fenêtres fermées lorsqu’ils font fonctionner la climatisation… Et l’automne venu, retirons ces nombreux climatiseurs qui restent à nos fenêtres toute l’année, causant d’énormes pertes de chaleur en hiver…