Voici une illustration artistique montrant une tempête solaire qui affecte l’atmosphère de la Terre. Crédit: NASA
Il y a 14 300 ans, une tempête solaire d’une ampleur exceptionnelle a atteint la Terre. Les traces de cet événement cosmique restent immortalisées dans des troncs d’arbres anciens.
L’événement est extrêmement rare, mais il arrive que notre étoile connaisse des pics d’activité magnétique intense. Des scientifiques viennent de découvrir les traces d’une de ces puissantes tempêtes solaires, survenue… il y a plus de quatorze millénaires!
La Terre a alors été bombardée par un déluge de particules, provoquant une augmentation soudaine du niveau de carbone 14, un élément radioactif, dans l’atmosphère. Ce pic de radioactivité s’est inscrit dans le bois des arbres qui poussaient à cette époque.
Des arbres fossilisés situés près de la rivière Drouzet. Photo: Cécile Miramont
Des scientifiques de France et du Royaume-Uni ont pu le mesurer en examinant de vieux troncs d’arbres. Enfouis depuis des millénaires, ceux-ci refont surface à mesure que la rivière Drouzet, dans les Alpes françaises, érode ses berges. Ces résultats ont été publiés dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society A Mathematical Physical and Engineering Sciences.
Édouard Bard, climatologue et auteur principal de cette étude, raconte que ces fameux arbres se trouvent à proximité de chez lui. Ce sont des troncs de pins partiellement fossilisés qui se sont bien conservés à travers le temps. « Ce site est vraiment exceptionnel. Cela fait plus de 20 ans que nous travaillons à dégager ces arbres. Ils ne sont pas entiers et n’ont ni feuilles ni branches, mais le tronc et la souche subsistent », souligne le chercheur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE), en France. Le climatologue précise que les arbres de cette époque ancienne sont très rares et très précieux pour la recherche.
Si l’on peut remonter le temps en étudiant les anneaux de croissance des arbres, on peut aussi pousser l’analyse en regardant le contenu isotopique de chaque cerne. C’est ce qu’a fait l’équipe d’Édouard Bard en scrutant le carbone 14 de quinze échantillons d’arbres anciens. Deux d’entre eux ont permis de détecter un changement abrupt il y a 14 300 ans. « On voit une anomalie de carbone 14. Il y a trop de carbone 14 et on le voit très bien en analysant les anneaux des arbres », affirme Édouard Bard pendant une entrevue téléphonique avec Québec Science. Le chercheur ne s’attendait pas à ce genre de résultat. « Ça a été un peu une surprise, mais on savait que ce type d’événement pouvait être possible », ajoute-t-il.
On voit ici les anneaux d’un arbre fossilisé. Celui-ci a été trouvé dans la rivière Drouzet. Photo: Cécile Miramont
Ces résultats concordent avec une anomalie d’isotopes découverte dans de vieilles carottes de glace du Groenland datant de la même période. En effet, une autre technique de datation, la datation par isotopes cosmogéniques, a montré une concentration anormale de certains isotopes, dont le béryllium 10 et le chlore 36. Ces isotopes « sont aussi influencés à court terme par le Soleil », explique le chercheur. Les scientifiques ont donc plus d’une raison de croire qu’il y a eu une tempête solaire extrêmement intense il y a 14 300 ans.
Quelles seraient les répercussions si une tempête solaire d’une telle ampleur se produisait à nouveau? Édouard Bard, spécialisé dans le domaine de la géochronologie et du climat, ne s’avance pas trop sur les prédictions. Toutefois, il est certain qu’il y aurait inévitablement des « conséquences sur le réseau électrique, le réseau Internet et les systèmes de communication ». C’est pourquoi des scientifiques à travers le monde surveillent attentivement l’activité solaire pour tenter de prévoir tous les scénarios possibles.
Une découverte fortuite
C’est en cherchant à raffiner la technique de datation au carbone 14 que les scientifiques ont découvert la méga tempête solaire. La datation au carbone 14 est couramment utilisée en science, notamment en archéologie, pour connaître l’âge de spécimens issus d’anciens organismes vivants. Au cours de leur vie, ceux-ci ont intégré dans leurs tissus du carbone atmosphérique – un mélange de carbone 12 et de carbone 14. Ce dernier se désintégrant avec le temps, un spécimen contiendra toujours autant de carbone 12, mais de moins en moins de carbone 14 à mesure que les années passent. Un spécimen qui contient peu de carbone 14 est ainsi jugé plus ancien.
Cependant, lors d’importantes activités solaires, le ratio entre carbone 14 et carbone 12 varie dans l’atmosphère, ce qui peut fausser la datation de l’échantillon. « La méthode [de datation au carbone 14] repose sur la supposition qu’il y a un taux de carbone 14 constant dans l’atmosphère. Mais en fait, dans les détails, ce n’est pas vrai. On voit des fluctuations au cours du temps dans l’atmosphère », explique Édouard Bard. Pour en tenir compte, les scientifiques ont établi une courbe de calibration du carbone 14, notamment basée sur l’étude de vieux troncs d’arbres. Les anciens troncs mis au jour par l’équipe permettront de raffiner cette courbe, pour que les datations soient encore plus précises.
Deux autres événements solaires importants
- Les scientifiques croient qu’un grand événement solaire a eu lieu en l’an 774. Ils en ont identifié les marques dans les cernes d’arbres provenant de divers pays. « Plusieurs spécialistes ont récolté du bois dans leur région pour retrouver cet événement du Moyen Âge ancien. Cette anomalie a été facile à observer [dans les arbres] », souligne Édouard Bard.
- En 1859, une intense tempête solaire, connue sous le nom d’événement de Carrington, a perturbé la Terre. C’est la première fois que l’on observe directement un tel phénomène : de nombreuses aurores boréales ont fortement illuminé le ciel, des stations télégraphiques ont pris feu et cessé de fonctionner, les boussoles des navigateurs ont perdu le cap… Contrairement à l’événement de l’an 774, celui-ci n’a pas été assez majeur pour laisser une empreinte dans les arbres.
