Alphonse Desjardins fait office de figure christique pour la première institution financière du Québec. Se retourne-t-il parfois dans sa tombe ?
Depuis sa mort, en 1920, le fondateur des Caisses populaires Desjardins est régulièrement invoqué dans les communications du groupe. Extraits de discours, retranscriptions de correspondances, mentions diverses : le Lévisien tient un rôle majeur dans la construction de l’identité de l’organisation.

Un extrait de la Revue Desjardins de 1969
« On parle toujours du fondateur, certes en des termes élogieux, mais surtout comme un point de référence », explique Joëlle Basque, professeure au Département de sciences humaines, lettres et communication de l’Université TÉLUQ. Avec sa collègue Ann Langley, de HEC Montréal, la chercheuse a retracé cette figure dans la Revue Desjardins, que le mouvement coopératif a publiée entre 1935 et 2015.
Dans les premières décennies, on y fait référence pour définir la mission de l’organisation, mais aussi pour résister à l’émergence d’institutions concurrentes à la sortie de la Grande Noirceur. « Les banques étaient alors moins réticentes que Desjardins à accorder des prêts », précise Joëlle Basque.
Un virage s’opère vers la fin des années 1960. Les écrits d’Alphonse Desjardins sont utilisés pour justifier les transformations de la coopérative, comme la popularisation de la carte de crédit et des assurances. On le cite un peu moins textuellement. « Desjardins mobilise la figure d’Alphonse pour maintenir l’idéal de la coopération comme modèle d’avancement social et d’émancipation économique », constate la chercheuse.
Plusieurs critiques affirment aujourd’hui que Desjardins devient une banque comme les autres. « Si elle garde des éléments typiques de la coopération, elle se comporte de plus en plus comme une institution financière traditionnelle. Les allusions à Alphonse Desjardins servent à préserver sa distinction identitaire, malgré l’épreuve des faits. »