Existe-t-il quelque chose comme un patrimoine alimentaire du Québec ? Une chercheuse répond à cette question qu’on se pose depuis belle lurette.
Quels sont les plats typiques du Québec ? Et où puis-je en manger ? À titre d’historienne de l’alimentation et de la nutrition, Julia Csergo se fait souvent poser ces questions… par ses collègues ! « Lors des colloques organisés dans la métropole, c’est immanquable ! Or, y répondre est tout sauf simple », raconte la professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.
Les restaurants qui offrent de « vraies » spécialités québécoises sont en effet assez rares. En dehors des stéréotypes convenus – la viande fumée de Schwartz’s, la poutine de La Banquise –, peu d’adresses servent des mets traditionnels. À quand la gibelotte des îles de Sorel au menu ? « Il y a un réel patrimoine alimentaire endormi au Québec, la plupart du temps régional, constate-t-elle. On s’interroge à ce sujet depuis au moins un siècle, comme en font foi des sources des années 1920 que nous avons pu trouver. »
Une grande enquête
La scientifique a remonté le fil du temps jusqu’à l’origine de ces préoccupations. Le défi : ne pas s’égarer en cours de route. « Des chercheurs se sont par exemple intéressés à ce qu’on mangeait en Nouvelle-France et à ce qu’il en reste aujourd’hui », souligne Julia Csergo. Ces travaux omettent toutefois la question de la tradition alimentaire. « Le premier à avoir effleuré le sujet est le folkloriste Marius Barbeau, qui a recensé plus de 800 recettes propres au Québec au début du siècle dernier. »

Reportage de Marius Barbeau sur l’alimentation de nos ancêtres paru dans le journal Le Soleil en 1945.
De manière surprenante, le monde universitaire tarde ensuite à creuser le filon. En cause : la perception tenace selon laquelle l’identité culinaire du Québec serait pauvre, voire inexistante. Il faut attendre la création de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, en 1968, pour que les milieux professionnels corrigent enfin le tir. Nous sommes alors en pleine fièvre nationaliste. « Parmi tous les éléments qu’on met en avant pour valoriser la culture québécoise, il y a bien sûr la gastronomie », indique la chercheuse.
De nos jours, il est de bon goût de proclamer que le patrimoine alimentaire du Québec est avant tout composite. Ce qu’on trouve dans notre assiette serait en somme un reflet des héritages autochtone, français, anglais, et ainsi de suite. « C’est comme si on voulait clore le débat pour de bon, avance comme hypothèse Julia Csergo. L’identité culinaire est pourtant évolutive par définition ; nos recettes sont peut-être inspirées de différentes traditions, mais elles nous sont bel et bien spécifiques. »
Illustration en ouverture: Shutterstock; Image: Le Soleil