Une chercheuse de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) rassemble les idées novatrices d’enseignantes pour mieux accueillir les élèves allophones dans leurs classes en dehors des grands centres urbains.
Mettez-vous un instant dans la peau d’une enseignante au primaire. Vous exercez depuis un bon nombre d’années, vous commencez à comprendre les rouages du métier, tout semble maîtrisé… Jusqu’au jour où vous recevez pour la première fois dans votre classe un élève qui ne parle ni français ni anglais et ne comprend que le russe. Que feriez-vous ?
Si cette question a été étudiée de fond en comble dans les écoles de grands centres urbains, elle l’a beaucoup moins été dans les écoles en région. Mais avec la pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus de familles nouvellement arrivées au pays s’installent en dehors des grandes villes.

Anastasie Amboulé-Abath, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi. Photo: Christina Amboulé
C’est pourquoi Anastasie Amboulé-Abath, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’UQAC, a choisi de s’intéresser aux méthodes d’intégration déployées par les écoles en région. Son objectif ? Dresser le bilan des façons de faire actuelles.
En effet, en dehors des grands centres urbains, les élèves allophones sont généralement trop peu nombreux pour commencer leur cursus dans une classe d’accueil. Ils finissent bien souvent par être placés, dès leur arrivée, dans des classes ordinaires. Cette méthode n’est pas nécessairement délétère, d’après la chercheuse : elle pourrait même faciliter leur intégration parmi les enfants francophones. Mais « ici, en région, on n’a pas d’expertise pour accueillir les élèves issus de l’immigration, et encore moins ceux qui ne parlent pas français », déplore-t-elle.
Actuellement, le corps enseignant en région n’a que peu de ressources à sa disposition, hormis les directives ministérielles. C’est pourquoi la chercheuse souhaite créer une boîte à outils à partir des méthodes déployées par cinq enseignantes du Centre de services scolaire (CSS) des Rives-du-Saguenay, pour, par la suite, partager ces méthodes avec l’ensemble du CSS.
Selon les données du gouvernement du Québec, 41 enfants allophones fréquentaient les bancs de l’école primaire de ce CSS en 2021-2022, ce qui représente seulement 0,7 % de l’ensemble des élèves. En comparaison, l’île de Montréal compte 38,3 % d’élèves allophones au primaire ; et ce chiffre est de 14,9 % sur l’ensemble du Québec.
Pas de recette miracle
On dit souvent que les élèves allophones ont des difficultés scolaires. Est-ce vrai ? « Dans la littérature scientifique, c’est très clair : si un élève parle espagnol et qu’on lui explique les mathématiques en espagnol, il va “performer”, affirme Anastasie Amboulé-Abath. Il n’a pas de difficultés scolaires, mais seulement une difficulté de langue. » L’une des solutions pourrait-elle donc être de traduire les exercices dans la langue maternelle de l’enfant, en attendant qu’il maîtrise suffisamment le français ? C’est l’une des pistes qui pourraient être discutées avec les enseignantes pendant ce projet.
Depuis le début de l’année 2024, les cinq enseignantes participantes ont consigné dans un journal de bord l’ensemble des pratiques inclusives qu’elles mettent en place au jour le jour pour leurs élèves allophones. Elles se rencontreront au printemps pour une période de discussion, au cours de laquelle elles échangeront autour des pratiques qui fonctionnent et de celles qui fonctionnent moins. « Je ne travaille pas sur les enseignantes, mais plutôt avec elles, souligne la chercheuse. Cela va nous permettre de voir ce qu’il y a lieu de faire selon le contexte et ce que l’on pourrait mieux faire. »
Anastasie Amboulé-Abath compilera ces méthodes à la lumière de la littérature scientifique. Elle devrait obtenir les premiers résultats du projet dès le mois de juin.
La chercheuse prévient cependant qu’il n’existe pas de solution miracle. Elle donne d’ailleurs un cours à l’UQAC sur l’éducation en contexte de diversité ethnoculturelle. « Je dis toujours à mes étudiants que je ne peux pas leur donner de recette toute faite, raconte-t-elle. Je leur donne une panoplie de petits trucs : certains peuvent fonctionner avec un élève, mais pas avec d’autres. Il faut souvent expérimenter et fonctionner par essais-erreurs. »
Des défis multiples
Pour les élèves allophones, les défis sont nombreux. Au-delà de la barrière de la langue, ces jeunes affrontent aussi la discrimination à l’école, et ce, encore plus s’ils sont issus d’une minorité visible. En région en particulier, où les classes sont peu diversifiées, il existe un risque accru que ces enfants soient rejetés, comme le soulignait déjà en 2010 un article à ce sujet publié dans la revue Recherches en éducation. C’est une dimension supplémentaire avec laquelle le personnel enseignant doit composer, et dont les enseignantes partenaires de l’étude discuteront également.
Mais Anastasie Amboulé-Abath en est convaincue : tous ces défis peuvent être surmontés si les écoles sont suffisamment outillées. Un avis partagé par Tatiana Garakani, professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP). « Une des choses que je vois souvent dans les écoles, notamment avec les élèves allophones, c’est qu’on se focalise beaucoup sur les différences. On les voit comme un écart à combler, un problème à régler », souligne-t-elle.
Une grave erreur, selon cette spécialiste de la diversité et de l’inclusion en milieu scolaire de personnes réfugiées. « En faisant ça, on met de côté les autres capacités de ces enfants – notamment de grandes capacités d’adaptation. Ces différences peuvent aussi être vues comme des forces, un bagage qui pourrait être très important dans la réussite éducative des élèves. »
Photos: Christina Amboulé/Shutterstock