Comment attirer et retenir le personnel enseignant dans le système éducatif ? La question n’est pas nouvelle, mais le manque de données entrave la mise en place de mesures efficaces.
Les grèves qui ont paralysé le réseau de l’éducation à la fin de 2023 ont braqué les projecteurs sur les conditions de travail souvent difficiles des enseignants et enseignantes, et sur un phénomène qui ne date pas d’hier : la pénurie de personnel.
Geneviève Sirois est bien placée pour témoigner du problème. « Je fais moi-même partie des 20 % d’enseignants étant partis dans les cinq premières années de pratique », affirme celle qui est aujourd’hui professeure en administration scolaire à l’Université TÉLUQ et professeure associée à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
Les défis d’attraction, de recrutement et de rétention sont désormais au cœur de ses recherches. Geneviève Sirois et son collègue Martial Dembélé, tous deux au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante, ont mené une étude en 2021 auprès des services des ressources humaines de 34 centres de services scolaires du Québec. Les résultats préliminaires ont été révélés en 2023 dans un article de la revue Apprendre et enseigner aujourd’hui, du Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec. Ils témoignent de la complexité des facteurs en jeu, dont la détérioration des conditions de travail, les départs à la retraite et le recours à du personnel non qualifié.
La pénurie actuelle prend racine dans les années 1990, à la suite de la vague de départs à la retraite des professeurs et professeures recrutés dans les années 1960-1970. C’est d’ailleurs à cette époque que le Québec a vu un développement rapide du réseau d’écoles primaires, accéléré par le phénomène d’urbanisation et le baby-boom. La création des maternelles 4 ans a également augmenté le besoin en enseignants et enseignantes.
Si la hausse des effectifs à scolariser et les départs à la retraite massifs expliquent la persistance de la pénurie, d’autres considérations récentes s’ajoutent. « Aujourd’hui, l’une des raisons de la pénurie, c’est l’insertion professionnelle difficile, observe Geneviève Sirois, citant sa propre expérience en exemple. J’étais formée pour enseigner le français au secondaire, mais j’ai plutôt enseigné l’histoire, l’anglais, l’éthique et la culture religieuse, autant de matières pour lesquelles je n’étais pas qualifiée ; cela m’a poussée à bout. »
D’après ses travaux, la pandémie aurait aggravé les choses. La création des bulles-classes, les départs hâtifs à la retraite, une augmentation des absences du personnel, l’intensification du recours aux enseignants non légalement qualifiés sont tous des facteurs qui ont contribué à la détérioration des conditions de travail. On peut également noter la lourdeur de la tâche liée à l’enseignement en ligne et aux consignes sanitaires.
Que faire donc, pour régler ce problème complexe ? « Il faudrait d’abord faire une vraie analyse du phénomène. Nous avons un grave problème de données ; par exemple, nous ne sommes pas capables de savoir combien de départs à la retraite s’en viennent. Comment pouvons-nous alors évaluer combien il faut d’enseignants ? » demande la chercheuse.
Elle estime qu’il faudra des investissements financiers majeurs pour améliorer les conditions de travail. « Travailler quatre jours, prendre une demi-année sabbatique ou encore avoir des ressources matérielles de base pour enseigner ; tout cela n’est plus possible dans la profession, explique Geneviève Sirois. Toutes les études le démontrent : l’insatisfaction au travail est la première raison de l’abandon de la profession. Il faut vraiment que ce métier soit plus valorisé, par les gouvernements et par le public. »
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Je fais partie de ces déserteurs. Après plus de 18 ans d’enseignement au secondaire, j’ai récemment quitté mon poste à cause des conditions de travail qui se détérioraient de jour en jour. Je n’aurais jamais cru cela possible. J’adorais mon métier, mais je ne pouvais plus l’exercer dans de telles conditions. Et ce qui est le plus triste, c’est que je ne suis pas la seule. L’éducation perd de nombreux de bons enseignants qualifiés et passionnés. Il faut que ça change!