Il y a de quoi avoir le moral en berne. Les nouvelles environnementales sont catastrophiques, les inégalités criantes, le contexte géopolitique hyper tendu… Au milieu d’une liste sans fin de courriels déprimants, un communiqué de presse a toutefois accroché mon regard : Une étude révèle comment l’humanité pourrait s’unir pour relever les défis mondiaux.
À première vue, le titre ressemble au souhait naïf d’une enfant de 8 ans, voire à un courriel d’hameçonnage : « Cliquez sur ce lien louche et vous sauverez la planète ! » Sauf que l’étude émane de la très sérieuse Université d’Oxford, au Royaume-Uni, et plus précisément du Laboratoire de cohésion mondiale. L’objectif de ce centre de recherche insolite ? « Trouver des moyens de renforcer l’identité et la cohésion mondiales pour motiver une action prosociale à l’échelle planétaire. » Autrement dit, comprendre ce qui pourrait unir l’humanité plutôt que la diviser, histoire de faire enfin avancer les choses dans le bon sens : régler les conflits, freiner la perte de biodiversité, enrayer la pauvreté et les changements climatiques. C’est pour le moins ambitieux !
L’étude en question, publiée dans la revue Royal Society Open Science, laisse croire qu’il est possible de s’unir autour de causes communes, et d’agir au-delà des intérêts nationaux, locaux, religieux, qui régissent (et parfois, pourrissent) le quotidien partout sur Terre. La recette ? Atteindre la « fusion identitaire », soit le sentiment viscéral d’appartenir à un seul et même groupe.
Alors, dans quel contexte peut-on transcender le communautarisme pour atteindre cette harmonie universelle ? Selon les auteurs, cette fusion peut s’opérer de deux façons : soit à la suite d’expériences fortes vécues par un groupe (catastrophe naturelle, attaque terroriste ou événement sportif rassembleur), soit par le partage de « l’essence biologique », donc par les liens de parenté.
Lukas Reinhardt et Harvey Whitehouse, respectivement spécialistes en économie comportementale et en anthropologie, ont donc exploré ces deux voies, en menant des expériences dans la population américaine, société polarisée s’il en est.
La première expérience a consisté à évaluer le sentiment de cohésion entre mères – en demandant à 1000 femmes d’allouer virtuellement une somme d’argent à d’autres femmes, mères ou non, Américaines ou citoyennes du monde. Conclusion : les mères se serrent les coudes. L’expérience transformatrice de la maternité rend solidaire, et transcende les frontières.
Pour le deuxième test, les chercheurs ont montré à environ 200 personnes, de diverses appartenances ethniques, sociales et religieuses, une vidéo expliquant le fait que tous les êtres humains descendent d’ancêtres communs. En bref, après le visionnement, par rapport au groupe témoin, ces gens avaient un plus grand sentiment de fusion avec l’humanité, mais aussi avec leur nation et leurs proches.
Que faire de ces résultats un peu Calinours ? Les chercheurs ne prétendent pas que parler de la biologie d’Homo sapiens au Moyen-Orient suffira à apaiser les tensions. Mais comprendre les mécanismes qui sous-tendent la cohésion sociale est un premier pas vers des sociétés plus empathiques. « Si nous parvenons à créer des liens avec de simples expériences comme celles-ci, nous pourrions développer des méthodes bien plus puissantes pour motiver les gens à agir face aux problèmes mondiaux », a déclaré Harvey Whitehouse dans le communiqué. Leaders politiques et ONG pourraient agir sur ces leviers pour accentuer la propension naturelle des humains à se lier et à coopérer, soutient l’étude. Quant à l’école, elle pourrait évoquer davantage la généalogie de l’humanité, et pas uniquement les histoires nationales.
Si on retire les lunettes roses, ce type de recherche apparaît aussi crucial pour prévenir l’excès de fusion. Car un sentiment d’appartenance trop intense peut mener au terrorisme, ou au sacrifice au nom d’une cause ou d’un groupe. C’est ce qu’a découvert Harvey Whitehouse au cours de sa carrière, notamment après un travail de terrain en Libye. D’après lui, les kamikazes sont davantage motivés par le sentiment extrême d’unité avec leurs semblables que par la haine des autres. Au point que leur individualité disparaît au profit du groupe. (On peut d’ailleurs se demander si les ralliements aux théories du complot relèvent du même genre de mécanisme…) L’anthropologue soutient qu’aborder le problème de l’extrémisme violent par le prisme des expériences marquantes partagées et de l’identité plutôt que par les croyances religieuses et l’idéologie pourrait être une meilleure façon d’inciter les personnes à risque à prendre part à des programmes de déradicalisation.
En ces temps houleux où le sentiment de fraternité entre les peuples semble s’effriter et où le découragement gagne du terrain, les recherches sur la psychologie des groupes semblent plus pertinentes que jamais. Quant à moi, le simple fait de savoir qu’il existe un Laboratoire de cohésion mondiale me met du baume au cœur.
Superbe trouvaille Marine C. ! Raymond F.
Merci! Un baume pour moi aussi et le partage votre texte.