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Des cas de grippe aviaire ont été détectés au sein d’une trentaine de troupeaux de vaches laitières aux États-Unis, fin mars, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la possible propagation du virus chez l’humain. Le point sur la situation.
Qu’est-ce que le virus H5N1?
« L’influenza aviaire hautement pathogène », ou grippe aviaire H5N1, est causée par le virus H5N1. Ce virus n’est pas nouveau : il a été identifié pour la première fois en 1959 chez des poulets en Écosse. Depuis, plusieurs vagues d’infections sont survenues chez les oiseaux, notamment en 1996 chez des oies d’élevage dans le sud de la Chine.
Bien que l’influenza H5N1 infecte principalement les oiseaux, elle peut aussi se transmettre à l’occasion à l’humain. L’Organisation mondiale de la santé a ainsi relevé 865 cas d’infections chez l’humain entre 2003 et 2022, dans 23 pays. De ce nombre, 463 personnes en sont décédées. Il s’agit généralement de gens ayant eu un contact étroit et sans protection avec un oiseau infecté. Pour l’instant, les autorités sanitaires se font rassurantes : la maladie ne se transmet que très exceptionnellement d’un humain à un autre.
Quand la vague actuelle a-t-elle commencé?
Une souche, appelée 2.3.4.4b, a émergé fin 2020 et a causé la mort de millions d’oiseaux sauvages et de volailles domestiques un peu partout sur la planète. La dissémination du virus H5N1 sur plusieurs continents s’est effectuée en grande partie par des oiseaux migrateurs infectés.
Au Canada, sa présence est attestée depuis la fin de 2021 par l’équipe d’Andrew Lang, microbiologiste et professeur à l’Université Memorial de Terre-Neuve, qui a détecté le virus chez un goéland marin. Le chercheur a indiqué à Québec Science que la maladie a depuis touché les populations de fous de Bassan, de canards, d’aigles, de mouettes et de goélands.
Des infections longtemps passées sous le radar chez les bovins?
Le virus H5N1, qui semblait n’affecter que les oiseaux, se répand maintenant chez les mammifères. Des vaches laitières infectées et asymptomatiques auraient possiblement permis au virus de s’étendre aux États-Unis. Selon une étude en prépublication sur bioRxiv, la maladie y circulerait depuis décembre 2023. C’est seulement en mars dernier que les autorités américaines ont détecté la présence du virus dans des fermes laitières du Texas et du Kansas. Le pathogène se serait introduit dans les cheptels par le biais de carcasses d’oiseaux infectés retrouvées sur les lieux.
Jusqu’à présent, au Québec, aucun cas n’a été rapporté chez les bovins ou chez les porcs. Mais selon Andrew Lang, la propagation de ce côté-ci de la frontière semble inévitable. « Ce virus circule depuis longtemps et à grande échelle chez les oiseaux sauvages. Il semble donc inévitable qu’il soit transmis à des bovins. Mais peut-être pas de manière répétée car les bovins ne semblent pas un hôte privilégié pour le virus », explique le chercheur de l’Université Memorial de Terre-Neuve.
D’après lui, il est donc possible qu’il y ait déjà des infections, mais que celles-ci passent inaperçues. Alors que les oiseaux présentent des symptômes graves, avec un taux élevé de mortalité, les vaches laitières, elles, manifestent généralement des symptômes légers. Elles mangent moins, produisent moins de lait, et celui-ci a une consistance plus épaisse. « Les vaches se rétablissent au bout d’une à trois semaines », souligne Geneviève Toupin, vétérinaire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et gestionnaire nationale des programmes vétérinaires.
Les produits laitiers et la viande sont-ils sécuritaires?
Oui. La vétérinaire Isabelle Picard, coordonnatrice aux zoonoses à la direction de la santé et du bien-être des animaux au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), indique que la grippe aviaire est reconnue pour ne pas se transmettre par les aliments. « Pour être à risque, il faut vraiment un contact étroit avec les animaux malades dans un environnement comme une ferme ou un marché de volailles vivantes.»
Des traces de virus H5N1 ont été détectées dans le lait vendu aux États-Unis, mais il s’agit de fragments non-infectieux. De plus, le lait et les produits laitiers pasteurisés restent sécuritaires, car ils ont subi un traitement thermique qui détruit les bactéries et les virus indésirables. « Le virus de l’influenza aviaire hautement pathogène est sensible à la chaleur et il est facilement détruit pendant le processus de pasteurisation », confirme Geneviève Toupin, de l’ACIA.
Les expertes du MAPAQ et de l’ACIA signalent toutefois qu’il ne faut pas boire de lait cru directement de la ferme. Du côté de la viande, il faut également s’assurer de la consommer cuite.
Qu’en est-il des autres mammifères?
La souche 2.3.4.4b de la grippe aviaire H5N1 semble avoir acquis une meilleure capacité à infecter les mammifères que les précédentes souches du virus. On a ainsi découvert sa présence notamment chez les visons sauvages, les phoques du Saint-Laurent, les ratons laveurs, les moufettes rayées, les renards roux, les chats et les chiens. Ces animaux ont possiblement contracté le virus en entrant en contact avec les déjections ou avec le cadavre d’un oiseau contaminé ou en vivant à proximité d’un réservoir aviaire.
Le Québec est-il touché par la grippe aviaire?

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Pour l’instant, les oiseaux sont touchés ainsi que certains mammifères, de manière sporadique. Le virus H5N1 a notamment causé une forte mortalité chez les fous de Bassan des Îles-de-la-Madeleine à l’été 2022. Et en 2023, « À ce jour, 54 élevages de volailles ont été touchés par le virus H5N1 », indique Isabelle Picard, vétérinaire au MAPAQ. Elle souligne qu’il est important que les éleveurs consultent leur vétérinaire s’ils détectent des signes de la maladie. Tout cas d’influenza aviaire hautement pathogène doit être signalé au MAPAQ et à l’ACIA. Si le virus s’introduit dans un élevage de volailles, tous les oiseaux sont abattus.
Les humains sont-ils affectés par cette nouvelle souche H5N1?
Début avril, une personne qui travaillait sur une ferme a été infectée par le virus aux États-Unis. Elle a seulement développé une conjonctivite à la suite d’un contact avec des vaches laitières contaminées. Au Canada, le premier cas a été détecté chez un adolescent de la Colombie-Britannique. [Mise à jour le 11 novembre 2024]
Pourquoi s’inquiète-t-on de l’arrivée de la grippe aviaire chez les porcs?
La possibilité d’une transmission aux porcs inquiète le microbiologiste Andrew Lang. Les porcs peuvent être infectés à la fois par des souches d’influenza aviaires, porcines et humaines. Si le virus s’introduit dans les élevages de porcs, des recombinaisons avec d’autres souches virales pourraient former une souche complètement nouvelle et potentiellement adaptée à l’humain. « C’est ce qui s’est produit avec H1N1 en 2009 », rappelle le chercheur. Au moins 700 millions de personnes avaient contracté cette grippe.
Les virus de type influenza évoluent très rapidement (plus rapidement que le coronavirus, par exemple). Ils se répliquent en faisant beaucoup d’erreurs dans le code génétique et n’ont pas la capacité de les corriger, d’après Andrew Lang. « Si ce virus infecte un hôte particulier, l’évolution se met de la partie en sélectionnant les versions les plus adaptées à ce nouvel hôte », explique-t-il. Celui qui se passionne depuis longtemps pour l’évolution et la diversification des virus de l’influenza confie « qu’il aurait vraiment souhaité que H5N1 n’ait jamais existé ».
Comment H5N1 infecte-t-il les vaches?
Les virus influenza infectent généralement les voies respiratoires. Mais le virus H5N1 ne semble pas suivre cette route d’infection chez les vaches laitières. Une étude en prépublication montre que H5N1 va se loger dans les glandes mammaires et que très peu de particules virales se retrouvent ensuite dans les voies respiratoires.
Des scientifiques interviewés par la revue Science soulèvent la possibilité que le virus se transmette plutôt d’un pis de vache à l’autre via l’équipement utilisé pour la traite, par des gouttelettes de lait transportées par des employés de la ferme ou par le transport d’animaux d’une ferme à l’autre. La recherche à ce sujet se poursuit.