Et si, au lieu de réinventer la roue au gré de chaque élection ou changement ministériel, nous écoutions ceux qui vivent l’école au quotidien pour améliorer le système scolaire?
J’ai fait l’exercice de demander, autour de moi, quoi faire en priorité pour « secourir » notre système éducatif. Sans surprise, j’ai obtenu presque autant de réponses différentes que j’ai interrogé de personnes. Certes, tout le monde s’accorde sur le fait que le milieu de l’éducation a besoin d’amour. Mais nous avons tous et toutes une vision de l’école teintée par ce que nous y avons nous-mêmes vécu, par ce que nos enfants y vivent, par nos valeurs, nos professions… Alors, comment s’entendre sur les priorités, et s’attaquer aux chantiers les plus urgents ?
C’est pour répondre à ces questions cruciales que l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants (OPES) a lancé juste avant l’été une consultation publique dans toute la province. L’OPES, créé en 2021 pour coordonner la recherche sur les répercussions de la pandémie sur les enfants, s’est allié pour l’occasion à l’entreprise Polygon, spécialiste de la « cartographie conceptuelle ». Cet outil de synthèse, très utilisé en éducation, permet de regrouper, classer et structurer divers idées et concepts, afin d’évaluer la façon dont un groupe de personnes perçoit une problématique donnée.
Évidemment, ce n’est pas la première fois qu’une consultation est organisée au sujet de l’école. Dans la sphère politique, c’est même une sorte de passage obligé, chaque ministre de l’Éducation, ou presque, lançant de « vastes consultations » sur la réussite scolaire, la jeunesse, les services éducatifs… Sans forcément que l’exercice aboutisse à des mesures concrètes, d’ailleurs.
Mais le projet de l’OPES, baptisé Unis pour l’école : ma voix, notre impact !, revendique sa singularité autour de deux mots d’ordre : collaboration et solutions. « Nous cherchons à obtenir un portrait global, en dépassant les enjeux associés seulement aux enseignants, par exemple, et en déterminant ce qui est prioritaire aux yeux de tous les acteurs », m’a expliqué Isabelle Ouellet-Morin, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et directrice de l’axe Innovation sociale de l’OPES. Au-delà de la réussite scolaire, l’équipe se penche plus globalement sur le bien-être des élèves.
La première phase du sondage, mené en ligne en français et en anglais, a permis de recueillir l’avis de 5000 personnes de toutes les régions du Québec : parents, personnel enseignant et non enseignant, directions d’établissement, centres de services scolaires et partenaires communautaires. Leurs réponses ont permis de retenir six défis urgents, par ordre de priorité : les écrans (et leur gestion en classe), l’intimidation et la violence, l’épuisement des profs, la régulation du stress et de l’anxiété des élèves, le manque de motivation et d’intérêt de certains enfants pour l’école, et le peu d’arrimage entre les services et les besoins des élèves.
Mais on ne s’est pas contenté de lister les problèmes. Les personnes sondées devaient aussi suggérer des solutions (il y en a eu 22 000, pour la plupart déjà éprouvées sur le terrain). « Rien que pour l’intimidation, par exemple, il y avait 800 stratégies recensées. Polygon nous a aidés grâce à l’intelligence artificielle à en sélectionner 45 qui représentent le mieux la diversité des réponses au sondage », explique Mme Ouellet-Morin. Un second sondage a permis d’évaluer la faisabilité et le « potentiel d’impact » de ces propositions. Elles serviront de point de départ pour des ateliers de « codesign » menés à l’automne par l’OPES et auxquels participeront une vingtaine de partenaires, dont les fédérations d’enseignants, de parents, les maisons de jeunes, etc.
Ces solutions pourront-elles être implantées à l’échelle de la province ? Ou à tout le moins dans certains établissements ? Et seront-elles financées adéquatement ? Si le ministère de l’Éducation est au courant des démarches de l’OPES, il n’en est pas l’instigateur et n’a fait aucune promesse.
Justement, c’est peut-être là la clé : plutôt que de réinventer la roue à chaque élection, s’inspirer du point de vue de ceux et celles qui font l’école ou gravitent autour, de façon non partisane, semble être un bon point de départ… Cette approche n’est pas magique – il y avait en tout 56 « problèmes » listés en amont du sondage par les partenaires, et certains sont litigieux. Pensons à l’intégration à tout prix des enfants à besoins particuliers dans les classes ordinaires (est-ce toujours la meilleure option ?), la formation des profs, régulièrement critiquée, ou encore le décalage qui existe parfois entre les recommandations pédagogiques appuyées par des données probantes et les méthodes appliquées dans les faits en classe. Mais voilà, s’il y avait une recette pour construire l’école idéale, cela se saurait ! Pour autant, les idées originales qui émergent dans les quelque 2700 écoles primaires et secondaires du Québec méritent certainement d’être connues.
Avis aux intéressés, les publications scientifiques qui découleront du travail de l’OPES seront accessibles gratuitement dans quelques semaines, en français. « Il y a une visée de recherche, mais nous souhaitons surtout être un vecteur de changement », assure Isabelle Ouellet-Morin. Un changement émanant de l’intelligence et de l’analyse collectives. Voilà qui est encourageant pour la rentrée !
Ah une ennième consultation. Espérons que cette fois sera la bonne. Je suis heureux de voir que l’IA peut déjà être mis à profit!