Voici une image montrant les particules virales du virus mpox (en vert) à l’intérieur d’une cellule infectée. Photo: NIAID.
L’épidémie de mpox préoccupe les autorités sanitaires. Pourquoi? Nous en avons discuté avec un expert.
Ce n’est pas la première fois que le virus mpox – autrefois appelé virus de la « variole simienne » ou « variole du singe » – inquiète les autorités sanitaires. Déjà, en 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait relevé le niveau d’alerte suite à l’apparition de multiples cas dans plusieurs régions du monde. Au Canada, 1 541 cas avaient été signalés en 2022-2023, surtout au Québec et en Ontario.
Cette éclosion – causée par le virus mpox (clade 2B) – avait touché « principalement les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ».
Actuellement, on a plutôt affaire aux virus mpox de clades 1A et 1B. Et l’épidémie touche toutes les couches de la population, ce qui suscite de vives inquiétudes au sein de l’OMS, d’où la déclaration d’urgence sanitaire le 14 août 2024.
Nous en avons discuté avec Jason Kindrachuk, professeur associé au Département de microbiologie médicale et des maladies infectieuses à l’Université du Manitoba. Il est également co-directeur du Mpox Research Consortium (MpoxReC), dont le mandat est de surveiller et de mener des recherches sur le terrain pour comprendre la circulation et la transmission du virus.
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Québec Science : Pouvez-vous nous détailler la situation de l’épidémie actuelle de virus mpox?

Jason Kindrachuk, professeur associé au Département de microbiologie médicale et des maladies infectieuses à l’Université du Manitoba.
Jason Kindrachuk : Historiquement, le virus mpox de clade 1 est associé à une maladie plus sévère. Il était présent surtout en République démocratique du Congo (RDC), où le contact direct avec la faune était la principale cause de transmission. Mais en 2023, le virus s’est propagé géographiquement au-delà des 11 provinces traditionnellement endémiques en RDC, avec un cas notable lié à un contact sexuel signalé dans la province du Sud-Kivu. Cela marque un changement par rapport à la transmission habituelle du clade 1.
Quant au virus de clade 2, on a pu avoir l’impression qu’il avait disparu après la baisse des cas à l’automne 2022, notamment au Canada. Cependant, il est toujours présent, comme en témoignent les récentes résurgences à Toronto [L’Agence de la santé publique du Canada dénombre ainsi 164 cas au pays entre le 1er janvier et le 12 août 2024]. Nous avons du mal à obtenir le véritable nombre de cas au Canada. Ce sont majoritairement des cas bénins ou bien des cas qui ne se sont pas déclarés, car il y a un stigmate entourant la recherche de soins médicaux [le virus de clade 2 ayant été souvent considéré à tort comme une maladie transmise sexuellement].
Qu’est-ce que le virus mpox? Qu’est-ce qu’un clade?
Le virus mpox est un virus à ADN double brin appartenant à la famille des Poxviridae, qui inclut le virus de la variole humaine, éradiqué en 1980. Il y a deux « clades » distincts du virus mpox. Un clade est un groupe de virus génétiquement similaires et issus d’un ancêtre commun.
- Le virus mpox de clade 1 est présent dans les régions d’Afrique centrale, notamment en République démocratique du Congo. C’est le plus virulent. Le taux de mortalité peut atteindre 10% chez les plus vulnérables (enfants et personnes souffrant déjà d’une autre infection). Les décès surviennent à la suite de complications telles que l’encéphalite, la pneumonie ou les infections oculaires. C’est ce clade, en particulier le clade 1B, qui est à la source de l’épidémie de 2024.
- Le virus mpox de clade 2, quant à lui, se trouve en Afrique de l’Ouest, particulièrement au Nigéria. Le clade 2B était responsable de l’urgence de santé publique en 2022, lorsque le virus s’est propagé vers des régions non endémiques. Le clade 2 est moins virulent, avec un taux de 1% de mortalité.
Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CACM) a signalé des éclosions dans une douzaine de pays africains, dont plusieurs avaient été épargnés jusqu’ici (Burundi, Kenya, Rwanda et Ouganda). On dénombre, en 2024, au moins 2 863 cas et 517 décès, principalement en République démocratique du Congo.
Comment le virus mpox se transmet-il?
Le virus se propage par contact étroit avec un animal ou une personne infectée. La transmission peut se faire par les fluides corporels (lors d’un contact rapproché avec un malade ou lors d’une relation sexuelle) et les lésions cutanées qui contiennent des particules virales.
Quels sont les symptômes de la mpox?
Les personnes atteintes de la mpox présentent des lésions cutanées, souvent douloureuses, situées au niveau de la bouche, des mains, des pieds ou des organes génitaux. Les autres symptômes possibles sont similaires à ceux d’une maladie respiratoire (mal de gorge, congestion nasale, toux) et incluent des maux de tête, des douleurs musculaires, de la fièvre et des frissons. Ces symptômes peuvent apparaître jusqu’à trois semaines après l’exposition au virus et persister entre 2 et 4 semaines.
QS : L’année 2023 semble être un point tournant pour ces infections. Que s’est-il passé?
JK : Nous n’avons pas encore de réponse claire. Nous avons publié un article [en prépublication sur medRxiv] sur le séquençage du génome du virus en RDC de 2018 à 2023. Nous avons vu que le clade 1A n’a pas évolué de manière significative, ce qui suggère que l’augmentation des cas n’est pas due à une mutation du virus, mais peut-être à une hausse des contacts avec la faune. Nous devons encore comprendre pourquoi 2023 a vu une telle augmentation des cas. Est-ce dû à une meilleure surveillance, au climat, à l’urbanisation ou aux transports? Toutes ces questions sont en suspens.
QS : Le Canada est-il prêt à faire face à ce virus? Avons-nous appris quelque chose de l’épidémie de 2022 avec le clade 2?
JK : Le Canada est à faible risque d’introduction du clade 1, mais la préparation reste incomplète. Bien que nous ayons une bonne capacité de test et des médecins informés sur la maladie, la perception publique du virus est que celui-ci a disparu, ce qui n’est pas le cas.
De plus, il est frustrant de voir que la communauté mondiale n’a pas pris les mesures nécessaires pour contenir la circulation du mpox. Si le clade 1 atteint le Canada, nous avons des vaccins et une capacité de test adéquate, mais nous devons également soutenir la lutte contre le virus à sa source, en Afrique.
QS : L’Afrique souffre d’un manque de ressources, de vaccins et d’accès aux soins médicaux. Les pays du Nord ont-ils sous-estimé la menace du mpox?
JK : Oui, c’est un problème persistant. Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, nous avons constaté un manque de préparation pour réagir aux épidémies, que ce soit en termes d’accès aux soins, d’eau potable, de tests diagnostiques ou de surveillance. Bien que nous ayons traversé Ebola, la Covid et l’épidémie mpox de 2022, nous n’avons pas encore tiré les leçons nécessaires. Il est nécessaire de mobiliser des ressources et assurer un soutien sanitaire à long terme en Afrique, notamment en augmentant la capacité de fabrication de vaccins. [Le gouvernement canadien a récemment annoncé une aide financière.]
QS : Le vaccin actuellement sur le marché peut-il efficacement contrer le virus de clade 1B?
JK : En théorie, oui. C’est un vaccin de troisième génération. La première génération du vaccin a été utilisée lors de la campagne d’éradication de la variole [vers la fin des années 1970]. Il a démontré son efficacité contre le clade 2, et devrait fonctionner contre le clade 1. Le défi consiste à déployer rapidement le vaccin et à ce que les gens acceptent de le prendre.
QS : La Suède a annoncé récemment son premier cas mpox de clade 1B. Cela pourrait-il marquer le début d’une propagation mondiale?
JK : C’est difficile à dire. Il est essentiel que tous les pays continuent de tester et de communiquer efficacement pour encourager les gens à se faire dépister et réduire la stigmatisation. Historiquement, nous avons déjà observé des cas de mpox liés aux voyages, mais il est encore trop tôt pour savoir si cela va se propager mondialement.
Un « vieux » virus
Le virus mpox est connu depuis longtemps des scientifiques : il a été identifié pour la première fois en 1957 chez des singes, mais ce sont les rongeurs qui en seraient l’hôte le plus commun.
Le virus a été détecté chez l’humain pour la première fois en 1970, chez un bébé de 9 mois en République Démocratique du Congo. Depuis, il a continué à circuler en Afrique, où il est transmis majoritairement des animaux à l’humain.
La première épidémie en dehors du continent africain, aux États-Unis en 2003, est reliée à l’importation de chiens de prairie comme animaux de compagnie. Les épidémies suivantes ont été déclarées en 2022 et en 2024.