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03 octobre 2024
Temps de lecture : 2 minutes

La forêt qui se relève

Le mont Dhaulagiri et la forêt de rhododendrons, au Népal. Photo: Shutterstock

Après avoir été quasiment anéantie, la forêt du Népal a pu être régénérée. Une histoire inspirante.

Dans les années 1980, au Népal, des hommes et des femmes se promènent, souvent pieds nus sur la rocaille, charriant du bois, des branches et du feuillage sur leur dos. Ces gens doivent marcher des heures pour trouver quelques arbres esseulés – de quoi se chauffer, cuire leurs aliments et, avec les feuilles, nourrir leurs bêtes. Les collines népalaises, autrefois verdoyantes, subissent une déforestation galopante. La population du pays, en voie de doubler en 30 ans, surexploite la forêt pour survivre. À cette cadence, les milieux boisés s’éclipseront avant l’an 2000.

De terribles conséquences se déchaînent. Rien ne retient la pluie de la mousson dévalant les vallées. Des crues soudaines et des glissements de terrain menacent les villages. Les sols s’érodent grassement. Sur les collines nues, le fourrage se raréfie pour les buffles, les vaches et les chèvres. Quand ces bêtes n’ont plus rien à manger, on manque de fumier pour cultiver le riz, le millet et le pois. Impossible d’opter pour les engrais de synthèse, trop chers, et pénibles à importer dans les villages de montagne dépourvus d’accès routier.

Cette catastrophe suit la nationalisation des forêts du Népal, en 1957. Le gouvernement avait alors mis un terme au régime féodal, qui prévalait depuis des siècles. À court de ressources administratives et techniques, l’État se révèle toutefois incapable de gérer et de protéger les forêts. Les communautés rurales, exclues du processus, malmènent leur boisé local. À la fin des années 1970, le problème de la déforestation devient si criant que le gouvernement reconnaît son faux pas et lance, avec l’aide de donateurs étrangers, des projets de reboisement. Dans les villages, on démarre des pépinières ; sur les collines, on plante de jeunes pousses.

Surtout, on implique les gens des villages. Des comités locaux décident des espèces d’arbres et des cultures fourragères plantées. Ils encadrent la récolte du petit bois et du fourrage, ils régulent l’accès des animaux aux plantations. En 1984, le journaliste américain Erik Eckholm, en reportage dans la montagne népalaise, croise une dame, petite faux à la main, panier sous le bras, qui se dirige vers la plantation de son village pour récolter du fourrage. « Nous tirons beaucoup plus d’herbe de ces terres maintenant qu’elles sont protégées, et notre buffle produit plus de lait », explique-t-elle avec satisfaction. Les collectivités récoltent rapidement les fruits des nouvelles mesures.

Pendant une quinzaine d’années, une série de réformes permet aux villages népalais de se réapproprier leur boisé. En 1993, une nouvelle loi consacre le modèle décentralisé de la foresterie et crée les « groupes communautaires d’utilisateurs de la forêt » (GCUF). Ces entités sont gouvernées par des assemblées générales où toutes les familles du territoire ont un siège. Un comité exécutif est élu. Pour avoir le droit de gérer sa forêt, chaque GCUF doit présenter un plan d’aménagement au gouvernement. Il décide des activités qui y seront pratiquées – la coupe de bois, le pâturage, la récolte de fourrage, la production de fruits, etc. – et fait appliquer les règles décidées collectivement. Ses membres empochent les profits.

Le programme connaît un vif succès. Existent aujourd’hui plus de 22 000 GCUF au Népal, qui rassemblent près de trois millions de familles. Ces groupes gèrent 2,3 millions d’hectares (38 % des forêts publiques). L’ambitieuse politique népalaise aura contribué à un rebond impressionnant des forêts du pays. Entre 1992 et 2016, la couverture forestière a presque doublé au Népal, passant de 26 à 45 % du territoire. La modernisation et l’enrichissement du pays, lequel ne dépend plus aussi étroitement de l’agriculture traditionnelle, et qui ne cuisine plus sur les braises, jouent également un rôle important dans sa reforestation.

Une telle trajectoire n’est pas atypique, à l’échelle mondiale – les géographes l’appellent « transition forestière ». Selon cette théorie, les sociétés abusent de leurs forêts durant une phase de développement rapide. Puis, elles délaissent le bois au profit d’énergies plus efficaces (fossiles, nucléaire, renouvelables) et adoptent une agriculture plus productive, qui accapare moins de terres. Après avoir atteint le fond du baril, le couvert forestier remonte. Le Népal n’est pas le premier pays à effectuer cette transition – la France, l’Écosse et la Chine sont passées par là –, mais la vitesse de son revirement étourdit. Un défi important demeure pour arriver à un nouvel équilibre : transformer les plantations népalaises en riches écosystèmes, où tant les tigres que les humains trouvent leur compte.

Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.

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