Les crises sanitaires, climatiques ou migratoires se succèdent dans l’actualité. Afin d’éviter les catastrophes, des scientifiques développent des modèles ou des stratégies préventives. Voici trois exemples de travaux qui tentent d’aller au-devant des problèmes.
Diffuser la connaissance
Anticiper les crises pour mieux les gérer : la formule paraît évidente et, pourtant, le Québec est encore loin de l’appliquer, selon Lily Lessard, professeure en sciences infirmières à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
« Lorsque survient une catastrophe, on est souvent en mode : “on se relève les manches et ça va passer”. Que ce soit avec les inondations, les vagues de chaleur ou même une pandémie, c’est encore beaucoup ce qu’on voit », déplore celle qui est aussi titulaire de la Chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales.
Il est facile de se mobiliser lorsqu’on constate les effets directs d’une catastrophe. Mais qu’arrive-t-il aux victimes une fois que l’attention du public et des médias se détourne ?
« Les crises ont énormément d’effets à retardement sur la santé, poursuit la chercheuse. Elles induisent un grand stress qui perdure, car il y a des conséquences économiques, d’assurabilité, ou des déplacements forcés. »
Mieux faire face à ces conséquences ou même tenter de les éviter nécessite une approche préventive, mais aussi davantage de résilience des individus, des collectivités et des systèmes de gestion.
Pour changer les façons de faire, Lily Lessard a participé à la mise en place en avril 2023 du Réseau Prévention, recherche, réponses et résilience face aux crises affectant la santé (PR3CRISA).
« Durant la pandémie de COVID-19, on a réalisé qu’on avait peu d’outils pour permettre la discussion entre le milieu de la recherche et les décideurs », explique la codirectrice du réseau.
PR3CRISA vise justement à fluidifier le dialogue, en dotant le Québec d’un réseau de recherche dont l’objectif est d’utiliser les réflexions et les connaissances des scientifiques pour outiller ceux et celles qui gèrent les crises.
« PR3CRISA regroupe plusieurs établissements de recherche et contribuera à identifier les menaces émergentes susceptibles de déclencher des crises touchant la santé humaine, animale et environnementale. Notre but est d’établir des liens de confiance avec les dirigeants en amont, de mieux mettre en valeur les recherches et surtout d’identifier clairement les experts. »
Le réseau gère déjà une première situation inquiétante : celle de la grippe aviaire, qui touche des troupeaux bovins au Canada et aux États-Unis depuis le printemps 2024. « Ce n’est pas encore une crise et il se peut que cela reste ainsi, souligne Lily Lessard, mais on est à l’œuvre pour trouver comment mieux documenter ce qui se passe et répondre aux questions des décideurs ! »
Mesurer l’activité humaine
Il n’y a pas que la transmission d’information qui permet de mieux gérer les crises. La façon dont on analyse et présente cette information est aussi un défi. « Plus on regarde à grande échelle, plus on doit combiner des données complexes et variées », explique Annie Levasseur, professeure à l’École de technologie supérieure (ÉTS) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mesure de l’impact des activités humaines sur les changements climatiques.
Comment faire en sorte que ces données soient comprises et puissent déclencher des changements de comportements ? Pour rendre les données accessibles, Annie Levasseur développe entre autres des outils pour illustrer notre impact sur le climat.
Elle travaille notamment sur une carte des émissions urbaines de gaz à effet de serre. L’outil, qui se concentre présentement sur la ville de Montréal, en est à ses balbutiements et ne sera pas disponible avant quelques années. Mais une fois parachevé, il permettra de visualiser les émissions de carbone issues des routes, des bâtiments ou des industries d’une municipalité, ainsi que leur variation au jour le jour. « Ça a beaucoup de potentiel pour montrer l’effet de différents changements, pour aider le public à comprendre », explique-t-elle. Un tel outil permettrait aussi de voir les effets sur le terrain d’initiatives très ciblées et localisées.
Bien sûr, ce type d’outil fonctionne avec de grandes quantités de données et, malheureusement, ce ne sont pas toutes les régions qui ont accès à de telles informations. « Certains pays ou régions ne peuvent se procurer ces jeux de données qu’à travers des fournisseurs commerciaux, comme les opérateurs de téléphonie cellulaire [qui peuvent suivre les déplacements des gens par exemple], souligne Annie Levasseur. De plus en plus, les fournisseurs qui ont ces données commencent à les vendre comme des solutions technologiques et c’est extrêmement coûteux. Même si on sait qu’elles existent, on ne peut pas facilement les utiliser et on doit parfois se tourner vers des données moins précises pour continuer notre travail. »
Malgré tout, la chercheuse est persuadée que de tels outils auront le potentiel d’aider la population à mieux comprendre, accepter, voire mettre en place les mesures pour contrer la crise climatique. De quoi apaiser les tensions dans un monde de plus en plus méfiant.
Optimiser l’aide
Pour un nombre grandissant de personnes dans le monde, la seule solution pour survivre aux crises est de fuir. Or ces migrations sont devenues une crise en soi. Aider ces populations migrantes ne relève pas que de l’aide humanitaire… C’est aussi du ressort des scientifiques, estime François Audet, professeur au Département de management de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialiste en crises et interventions humanitaires.
« Les organisations humanitaires ont des accès privilégiés aux lignes de front, explique-t-il. En collaborant avec elles, on peut voir de près les conséquences directes d’une crise. Le mariage entre la recherche et l’humanitaire est important pour les deux camps, afin de mieux répondre à des questions non résolues dans la pratique. »
Pour lui, l’étude des crises migratoires doit passer par une méthodologie plus agile, mais demande aussi aux scientifiques d’être plus pragmatiques et politiques. « Les décideurs sont bien conseillés, mais, malheureusement, on a beaucoup de difficulté à faire valoir l’investissement dans la prévention. Même la capacité scientifique à comprendre ce qui se passe est mise au défi. Notre responsabilité est donc que nos résultats soient accessibles et traduits dans les langues locales pour que les organismes locaux puissent y accéder et les utiliser rapidement. »
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