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14 novembre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Ces milliardaires en quête d’immortalité

Illustration: portrait en noir et blanc de Marine Corniou.

L’obsession de la vie éternelle n’a jamais été aussi intense ni aussi bien financée. Des milliardaires de la Silicon Valley croient fermement pouvoir inverser le temps : et la science leur donne (presque) raison!

Hérodote en parlait déjà au 5e siècle avant notre ère. Les peintres du Moyen Âge l’ont maintes fois imaginée. Les conquistadors l’ont cherchée au Nouveau Monde. Et Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, y croit encore. La fontaine de Jouvence, cette source miraculeuse qui promet la vie ou la jeunesse éternelle, est un fantasme universel qui n’a pas pris une ride. Aujourd’hui, c’est dans les laboratoires que la quête se poursuit.

Les investissements dans la recherche pour contrer, voire inverser le vieillissement, atteignent des sommets. Ils sont principalement le fait de milliardaires de la Silicon Valley, comme Jeff Bezos ou Peter Thiel, cofondateur de PayPal, obsédés par l’espoir de déjouer la mort. Ainsi, en 2022, plus de 5,2 milliards de dollars américains ont été injectés dans 130 jeunes pousses œuvrant pour la longévité – 10 fois plus qu’il y a une décennie. On ne cherche plus à prolonger la vie, on tente carrément d’inverser l’horloge biologique.

Et ces efforts massifs portent leurs fruits. Les essais cliniques se multiplient, tout comme les annonces spectaculaires. Quelques exemples ? En juillet dernier, une équipe de Singapour a prolongé la vie d’une souris de 25 % en « éteignant » la production d’une seule molécule, l’IL-11.

En 2023, une équipe de l’Université Harvard a découvert un cocktail de six molécules capable, en moins d’une semaine et sans altérer l’ADN, de restaurer la vigueur moléculaire de cellules cultivées en laboratoire. Un vrai retour dans le temps ! L’étude, publiée dans la revue Aging, a fait grand bruit, rendant le rêve de réjuvénation potentiellement accessible grâce à une simple pilule. L’auteur principal de ces travaux, le généticien David Sinclair, n’a d’ailleurs pas perdu de temps : il a commercialisé cette année la première pilule soi-disant capable de faire rajeunir des chiens (ce qui a suscité la colère de nombreux scientifiques, car la formule de la pilule est secrète, qu’aucun essai n’a été publié et que l’effet vanté est en fait minuscule).

Le temps étant implacable, l’impatience va de pair avec la quête de l’immortalité. Des personnes en vue sur les réseaux sociaux encouragent l’auto-administration de rapamycine, un immunosuppresseur prescrit à la suite d’une greffe, depuis qu’une étude a démontré que ce traitement augmentait la durée de vie des souris de 15 à 20 %. Et tant pis pour les risques d’infection et d’autres effets secondaires métaboliques. D’autres se font transfuser du sang de personnes plus jeunes, inspirés par un corpus d’études ayant montré chez les rongeurs que le sang juvénile aidait à lutter contre les signes de l’âge. Le milliardaire américain Bryan Johnson a ainsi orchestré récemment un don de sang entre son fils de 17 ans et son père de 70 ans. Bilan à date : aucun changement notable.

Les conjectures sur l’âge maximum auquel les humains peuvent aspirer vont elles aussi bon train. Dans la revue Genome Biology, le « futuriste » João Pedro de Magalhães, professeur de biogérontologie à l’Université de Birmingham, expliquait récemment que le vieillissement ne serait pas lié à l’endommagement du « hardware », c’est-à-dire du matériel biologique, mais qu’il résulterait plutôt d’un problème de « logiciel ». Autrement dit, il serait programmé dans l’ADN. Si on reprogramme les cellules adéquatement, croit-il, on pourrait vivre en théorie jusqu’à… 1000 ans. Inutile de dire que cette thèse fait lever les sourcils de la plupart des spécialistes, qui considèrent que notre espèce peinera en fait à dépasser le seuil de 120 ans.

Pour ma part, je ne suis pas sûre d’être tentée par l’expérience multiséculaire – et je n’en aurai de toute façon jamais l’occasion. Si de tels élixirs de longue vie finissent par voir le jour, ils seront réservés aux milliardaires et autres magnats de la tech persuadés que leur présence prolongée sur la planète serait une bénédiction pour le reste de l’humanité. Voilà qui ne fera qu’accroître des inégalités déjà criantes en matière d’espérance de vie – et surtout, de qualité de vie.

Car pour le commun des mortels, le fait de vivre plus longtemps s’accompagne souvent d’un nombre croissant d’années en mauvaise santé. En bref, de plus en plus de personnes vivent avec des maladies invalidantes, en particulier les moins bien nanties.

Aux États-Unis, la différence d’espérance de vie entre les populations noires et blanches est en moyenne de 5 ans. Je vous laisse deviner qui « gagne ». À Boston, des données récentes ont montré que l’écart d’espérance de vie peut atteindre 15 ou 20 ans selon qu’on vit dans un quartier riche ou défavorisé. Et ce, à quelques pâtés de maisons de distance. À Montréal, une étude a aussi révélé que les personnes habitant certains quartiers de l’est pouvaient s’attendre à vivre jusqu’à 9 ans de moins que les gens de l’ouest de l’île. Et c’est sans parler du risque de solitude, qui augmente à mesure que la vie s’allonge… Selon un rapport récent, 41 % des Canadiennes et Canadiens de plus de 50 ans sont à risque d’isolement. À ce compte-là, la vieillesse peut sembler interminable.

Voilà qui remet les choses en perspective. Pendant que les richissimes technophiles espèrent s’offrir l’éternité, œuvrons à notre échelle pour des sociétés plus solidaires et plus justes, histoire que l’âge d’or soit étincelant pour plus de monde.

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Luis Laborda
1 année il y a

« Selon un rapport récent, 41 % des Canadiennes et Canadiens de plus de 50 ans sont à risque d’isolement. À ce compte-là, la vieillesse peut sembler interminable. »
La solution est-elle de vivre moins longtemps ou de rechercher les causes de l’isolement et de la solitude et d’essayer d’y remédier ?

Yolande
Répondre à  Luis Laborda
11 mois il y a

J’ose espérer que les recherches sur les causes de l’isolement seront prioritaires. Je suis très active, je ne connais pas l’isolement je suis chanceuse mais les personnes n’étant pas en bonne santé jusqu’où se situe leur isolement?

Martin Gagnon
1 année il y a

Vivre beaucoup plus longtemps, j’aime bien croire mais, en effet, ce sera pour les riches, surtout au début. Dommage, j’aimerais bien pouvoir vivre un siècle de plus…

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