Depuis presque 30 ans, Caroline Duchaine examine sous toutes leurs coutures les bioaérosols, des virus aux moisissures, en passant par les allergènes. Ce travail multidisciplinaire est aujourd’hui récompensé par le prix Acfas Jacques-Rousseau.
L’air qu’on respire est loin d’être pur. Moisissures, bactéries, virus, toxines, particules provenant d’organismes vivants : une foule de bioaérosols s’immiscent dans chacune de nos inspirations. « Les problèmes associés aux bioaérosols font appel à des disciplines très différentes et complémentaires », explique Caroline Duchaine, professeure au Département de biochimie, microbiologie et bio-informatique de l’Université Laval. Reconnue au niveau international pour ses travaux dans le domaine, la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les bioaérosols a ainsi consacré sa carrière à mettre en relation différentes expertises pour mieux caractériser et étudier ces particules d’origine biologique. L’obtention du prix Acfas Jacques-Rousseau, qui souligne les travaux établissant des ponts novateurs entre différentes disciplines, la touche donc particulièrement.
Buffet à volonté
C’est après un baccalauréat en microbiologie et une maîtrise en physiologie et endocrinologie que Caroline Duchaine commence à s’intéresser aux bioaérosols. « Un médecin cherchait un étudiant pour un projet dans les fermes laitières », raconte celle qui hésitait alors à se former en médecine vétérinaire. Dans le cadre de ce doctorat, elle étudiera l’impact sur le système respiratoire des travailleurs et travailleuses agricoles d’un produit à base de bactéries vaporisé dans les fermes pour traiter le foin contre la moisissure. « Je trouvais ça fascinant », se souvient-elle.
Dès lors, elle s’entoure de spécialistes de divers horizons et participe à la mise sur pied du premier laboratoire universitaire canadien consacré à l’analyse des bioaérosols, rattaché au Centre de recherche de l’Hôpital Laval (aujourd’hui le Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec). « Mon directeur m’avait laissé la pleine liberté », souligne la chercheuse.
Après deux postdoctorats (un à l’Université de Montréal et l’autre à l’Université de l’Iowa), Caroline Duchaine pose pour de bon ses valises à l’Université Laval, où elle se penche sur une foule de sujets. « Dans mon domaine, tout était à faire. J’ai eu la chance d’avoir accès au buffet à volonté de la recherche », se réjouit-elle. Pour résoudre les problèmes liés à l’exposition à des bioaérosols dans une usine de plancher de bois franc ou à des moisissures après les inondations au Saguenay, par exemple, l’ingénierie, la biologie, la médecine et la santé publique devaient être mises à contribution.
À travers quelque 180 projets de recherche en laboratoire et sur le terrain menés au fil des années, Caroline Duchaine et ses collègues ont fait avancer les connaissances sur la composition des contaminants de l’air, le comportement des aérosols, de même que sur leur impact sur la santé publique, animale et humaine. « Nous sommes rapidement devenus le laboratoire le plus actif au monde dans le domaine. C’est un gros terrain de jeu ».
Sous les projecteurs de la COVID
En 2015, Caroline Duchaine publie une étude sur la transmission de la gastroentérite par voie aérienne, qui fait grand bruit et transforme les pratiques en milieu hospitalier.
Mais c’est la pandémie de COVID-19 qui a rendu ses travaux (encore plus) visibles. « Ç’a été un peu fou », se souvient-elle. Déjà présente dans les hôpitaux, son équipe est alors la seule dans la province qui pouvait prélever des échantillons d’air pour étudier la transmission du virus SARS-CoV-2.
Elle contribuera à faire éclater les silos et à changer la compréhension de la transmission virale par voie aérienne chez les spécialistes des maladies infectieuses. « Ils et elles ne reconnaissaient qu’une poignée de maladies transmises par l’air : la tuberculose, la varicelle, la grippe, la rougeole… En dehors de ça, ce mode de transmission n’était pas pris en considération », explique-t-elle. Une idée préconçue dans le domaine séparait alors les gouttelettes (diamètre supérieur à 5 microns) des particules plus petites, les aérosols, en cause dans la propagation de ces quelques maladies. « Mais on sait que les particules plus grosses peuvent aussi avoir un impact, d’autant plus que le virus de la COVID n’a pas besoin de se rendre dans le fond du poumon pour causer la maladie, il peut se loger dans le nez, la gorge », poursuit-elle.
Son travail a notamment aidé à évaluer le risque de contamination du personnel soignant pendant la pandémie, et à faire tomber quelques dogmes, autant auprès des spécialistes que dans les médias. « Ça a ouvert les esprits que l’air puisse également être une voie de transmission, même si ce n’est pas systématiquement le cas », résume-t-elle. Avec la pandémie, l’intérêt du grand public pour la question des bioaérosols est par ailleurs monté en flèche : « J’avais peut-être fait 25 interventions dans les médias dans ma carrière, et tout d’un coup, j’avais 200 demandes! » confie-t-elle.
Aujourd’hui, Caroline Duchaine poursuit son exploration ; son nouveau de projet de recherche porte sur le virus H5N1 dans les élevages laitiers. La chercheuse surveillera aussi de près l’impact des changements climatiques sur les bioaérosols, notamment la résistance des maisons nordiques à la moisissure, ou les enjeux liés aux systèmes de rafraichissement des animaux dans les élevages. « Ces systèmes à base d’eau peuvent être contaminés par des bactéries dangereuses pour la santé humaine, comme la légionellose », précise-t-elle.
Cette éternelle curieuse n’est donc pas à court d’idées pour la suite. « J’ai toujours aimé l’école ; je me sens encore comme une étudiante, tellement je m’amuse ! Cette liberté académique, cette capacité de faire ce qu’on veut, c’est extrêmement stimulant », conclut-elle.