Paysage hivernal avec patineurs, par Hendrick Avercamp, vers 1608. Image : Toile achetée par le Rijksmuseum Amsterdam avec le soutien du Vereniging Rembrandt
Du 16e au 19e siècle environ, un froid glacial persistant s’est abattu sur certains continents. Ou comment une variation de quelques degrés peut avoir de grandes conséquences.
À la fin du 17e siècle, des monstres gelés descendent du haut des Alpes. D’hiver en hiver, les glaciers s’allongent, lentement mais sûrement, vers de nouveaux domaines. Dans la vallée de Chamonix, près du mont Blanc, un glacier avale fermes et villages. La population, affolée, fait appel à l’évêque de Genève pour procéder à l’exorcisme des forces maléfiques responsables de l’engloutissement. Ailleurs sur le continent, la chasse aux sorcières bat son plein pour faire cesser la grisaille frigorifique.
Dans l’océan Arctique, des baleiniers hollandais en route vers les îles Jan Mayen et Spitzberg se heurtent à la glace, même en plein été. Pourtant, depuis des générations, chaque printemps, ils se rendent là-bas pour chasser la baleine boréale, dont le gras sert à éclairer les chaumières et à fabriquer du savon. Leurs ancêtres ont bâti de petits villages sur ces îles nordiques, ils y ont laissé leurs fours à graisse. Voilà que ces baleiniers doivent désormais rebrousser chemin.
Le monde traverse alors le « petit âge glaciaire » (de 1550 à 1850), lors duquel le climat s’est refroidi d’environ 0,5 °C. En Europe, la chute du mercure est plus prononcée alors qu’il baisse parfois de 2 °C : assez pour qu’à Londres, en hiver, on organise des foires sur une Tamise durement gelée. Une baisse de l’activité solaire, une variation de l’axe de rotation terrestre et un vigoureux volcanisme figurent parmi les éléments proposés pour expliquer cet épisode climatologique qui changea le cours de l’Histoire.
Les populations paysannes furent les premières à en payer le prix. La saison de croissance des plantes se raccourcit. Les gels hâtifs détruisent les récoltes. Les hivers trop rigoureux tuent les semences. Dans les granges mal isolées, les gelées gâchent les réserves de céréales et de bière. Les saisons rudes condamnent les fermiers et les fermières à passer plus de temps à l’intérieur, auprès des bêtes d’élevage et de leurs compagnons, les rats, qui les exposent à de vilaines maladies. De grandes famines affligent l’Europe à répétition. Les pires coïncident avec les plus importantes vagues de froid.
Le changement climatique dérègle les courants, les précipitations, les vents. En Hollande, de puissantes tempêtes battent la côte, brisant les digues et les écluses, inondant certaines des régions les plus peuplées, tuant des milliers de personnes. Les canaux et les ports, englacés, ne permettent plus la livraison de grains, le transport des gens et le déplacement des armées. En 1795, l’amirauté hollandaise encaisse un dur coup quand une partie de sa flotte, prise dans la glace d’un détroit, est capturée par des soldats français… à cheval !
En fait, à peu près tout déraille au 17e siècle. Les grands empires européens mènent guerre après guerre, mais manquent de surplus agricoles pour financer leurs appétits de conquête. Aux famines s’ajoutent des épidémies et des migrations (notamment vers l’Amérique), auxquelles succèdent des rébellions et des éclats de violence. Cette « crise globale » – dont le petit âge glaciaire n’est pas l’unique cause, mais un accélérateur – tue jusqu’à un tiers de la population mondiale, selon l’historien anglais Geoffrey Parker.
Et pourtant, cette histoire n’est pas celle d’un effondrement de l’Europe. Au 17e siècle, la Hollande vit même son « âge d’or », envers et contre les défis climatiques. Pour dégager les canaux gelés, on perfectionne les machines brise-glace, tirées par des chevaux. Le refroidissement fait migrer le hareng de la mer Baltique à la mer du Nord, au bénéfice des pêcheurs hollandais. Les villes se développent ; les citadins, disposant d’une plus grande diversité d’aliments que les campagnards, sont moins sensibles aux aléas météorologiques.
Partout sur le continent, on adapte l’agriculture à la nouvelle réalité. En Finlande, on remplace l’orge par le seigle d’automne, qui mûrit plus tôt dans la saison. Dans les hautes collines de l’Écosse, les bergers commencent aussi à cultiver l’orge afin de parer aux hivers rudes et inégaux, qui affaiblissaient chèvres et moutons. En Bosnie, on remplace le vin par le brandy aux prunes, alors qu’en France, la limite nordique de la viticulture recule de 400 kilomètres vers le sud, afin que les vignerons se lancent à la poursuite d’un peu de chaleur pour leurs raisins.
Famines et guerres. Résilience et transformation. Le petit âge glaciaire donne un aperçu des déséquilibres que provoque une légère variation climatique. De quoi glacer le sang, quand on se rapporte à notre époque. Si tous les pays respectent leurs engagements actuels – ni plus ni moins – le réchauffement atteindra 3 °C en 2100.
Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.
Les changements climatiques ont toujours existé que ce soit dans le sens d’un refroidissement, ou d’un réchauffement. Et nous pouvons nous demander dans quelle mesure nos comportements polluants réchauffent la Planète en ces temps que nous vivons?
Les changements climatiques ont toujours existé, en effet, mais le réchauffement actuel est exceptionnel par sa rapidité et son origine humaine. Nos comportements polluants, en particulier les émissions de gaz à effet de serre, en sont la principale cause, comme l’indiquent les recherches scientifiques.