Les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans les milieux de travail sont de plus en plus mises à mal. Pourtant, la recherche démontre qu’elles en valent le coup.
Les trois lettres du sigle EDI ont fait couler beaucoup d’encre depuis le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, les valeurs défendues par ces politiques étant dans la ligne de mire du président des États-Unis et de ses émules. S’inscrivant dans cette mouvance conservatrice, de grandes marques, comme Molson Coors, Ford et Harley-Davidson, ont mis la hache dans leurs programmes de diversité et d’inclusion au cours de la dernière année.
Ces décisions reflètent une mécompréhension des objectifs de ces pratiques, déplore la professeure au Département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Valérie Lederer, qui se dit préoccupée par ce ressac. « Certains pensent que faire de l’EDI, c’est aller à l’encontre de la méritocratie. En fait, c’est le contraire : un système basé sur le mérite demande un environnement où tout le monde a les mêmes chances, peut s’épanouir et performer sans obstacle lié à des paramètres qu’il ou elle ne maîtrise pas, comme son sexe à la naissance ou des inégalités structurelles. »
Dans un monde idéal, tout le monde bénéficierait de chances égales. C’est en se basant sur ce principe que les premières politiques EDI ont vu le jour à partir des années 1960, en phase avec les mouvements sociaux de l’époque. Une image souvent employée dans le domaine pour définir le concept est celle de trois personnes de grandeurs différentes regardant un match derrière une clôture. Les politiques EDI visent à ce qu’elles puissent toutes profiter pleinement de la partie. Ces programmes reconnaissent aussi la diversité du personnel au sein d’une organisation, notamment sur les plans de la diversité culturelle et de genre, afin de s’adapter aux différentes réalités.
« Le but ultime des politiques EDI est l’épanouissement des individus au travail, résume la professeure à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) Joanie Caron. Il s’agit d’une façon de penser et d’agir qui va créer des environnements de travail où tout le monde se sent respecté, valorisé et bienvenu. »
Peu de données existent sur l’application de ces programmes au Québec, mais on les trouve davantage dans les organisations publiques, plus souvent assujetties à des lois en ce sens. « Dans l’administration publique, l’EDI fait souvent partie de la marque employeur. Cela dit, plusieurs organisations dans le privé mettent aussi en avant la diversité dans leurs valeurs, c’est présent dans les affichages de postes », mentionne Maude Boulet, professeure en gestion des ressources humaines à l’École nationale d’administration publique (ENAP), qui a analysé 500 affichages de poste dans le cadre d’une étude.
De nombreux avantages

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L’efficacité des politiques EDI n’est plus à prouver. Bien que leur mise en place requière des ressources, les entreprises qui les adoptent récoltent les fruits de leurs efforts. Parmi les résultats à long terme : bien-être, productivité, rendement et stabilité. « Ça favorise aussi la créativité et l’innovation, ce qui donne aux entreprises une meilleure compétitivité et une meilleure réputation, en plus d’un meilleur attrait en tant qu’employeur », souligne Joanie Caron.
La professeure à l’UQAT a établi ce constat en menant des travaux sur l’employabilité autochtone dans le secteur minier. Dans le cadre de ses études doctorales en 2020, elle a étudié les pratiques de recrutement des entreprises dans les communautés autochtones et les mesures mises en place pour les inclure, comme des programmes de liaison, de préparation à l’emploi, de formation, d’activité culturelle ou encore de mentorat. « On a constaté que les entreprises qui appliquaient le plus de mesures et qui investissaient le plus d’efforts atteignaient la masse critique ou l’effet du nombre. Plus il y avait d’employés autochtones au sein des entreprises, meilleur était le climat de travail et plus les relations avec les allochtones étaient bonnes. »
Joanie Caron mène actuellement un projet sur l’employabilité autochtone au sein des PME québécoises, ce qui devrait permettre de brosser un portrait provincial de la situation. Déjà, la première étape de son étude, un sondage en ligne, a permis d’établir que « plus de la moitié de ces entreprises ont déjà eu des employés autochtones et que la majorité est satisfaite de cette main-d’œuvre », indique-t-elle en guise de résultat préliminaire.
De son côté, Valérie Martin consacre ses recherches aux personnes en situation de handicap en milieu de travail. « Il peut s’agir de handicaps sur le plan sensoriel – par exemple la vue ou l’audition –, sur le plan des apprentissages ou encore sur le plan cognitif », précise la professeure au Département d’organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Il est important que les organisations prennent en compte les besoins spécifiques du personnel, tant physiques – en aménageant des toilettes adaptées ou en installant des portes automatiques, par exemple – que sociaux. À cet égard, le Québec a du retard, déplore la chercheuse. « Toutes les organisations publiques sont bien en dessous des cibles en matière d’embauche dans la catégorie des handicaps. »
Dans le cadre d’une étude, elle s’est intéressée à l’employabilité des personnes autistes. Elle donne l’exemple d’un programmeur informatique qui a pu bénéficier d’aménagements spécifiques à sa réalité. « L’employeur a trouvé un rythme de travail et une organisation pour s’adapter à cette personne dont le travail a beaucoup de valeur et qui, en retour, a pu mettre ses grandes capacités au service de la compagnie. C’était gagnant-gagnant. »
De l’importance de l’intersectionnalité
Dans certains cas, un membre du personnel peut incarner à lui seul plus d’une facette de la diversité. C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité, une perspective importante à considérer dans la recherche. Valérie Lederer donne l’exemple de ses travaux sur le vieillissement de la population en milieu de travail. « Les femmes vieillissantes vivent la ménopause, ce qui affecte leur vie au travail. Autre exemple, les parents des travailleurs issus de l’immigration vont parfois tomber malades dans d’autres pays, ce qui complique leur vie professionnelle. J’essaie de regarder l’ensemble de ces facteurs. »
Selon cette même approche, la professeure de l’UQO mène actuellement une étude sur les travailleuses enceintes issues de l’immigration récente dans le secteur de l’hébergement et de la restauration au Québec. « On cherche à comprendre comment elles naviguent dans la gestion de la grossesse au travail avec les barrières de la langue, de la précarité et des dédales administratifs. »
Pour sa part, Maude Boulet de l’ENAP s’intéresse particulièrement au sentiment d’inclusion du personnel. Dans le cadre d’une étude, elle s’est penchée sur la perception de discrimination de travailleurs et travailleuses. « Ce n’est pas parce qu’une personne pense avoir été discriminée qu’elle l’a été, précise-t-elle, mais les résultats montrent que le fait de penser cela a un gros impact sur la santé mentale et le bien-être. »
Plus récemment, elle a montré l’importance des politiques EDI aux yeux du personnel. « Quand on demande aux employés s’ils trouvent que ces politiques sont efficaces et équitables dans leur organisation, ceux qui répondent par l’affirmative sont mieux au travail », explique-t-elle.
L’IA au service de l’inclusion ?
L’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle favoriser la diversité de la main-d’œuvre sans parti pris inconscient ? Voilà la question sur laquelle se penche une équipe de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Son objectif est d’examiner l’utilisation des systèmes d’IA dans les activités de recrutement et d’analyser les effets sur la diversité de la main-d’œuvre, afin d’offrir un accès plus équitable aux personnes issues de groupes sous-représentés.
« Diverses activités de recrutement, de présélection et de sélection du personnel, comme la rédaction du contenu des offres d’emploi, l’affichage des postes et l’analyse initiale des candidatures, peuvent être teintées de biais inconscients qui, involontairement, entravent l’embauche d’une main-d’œuvre diversifiée », souligne Andrée-Anne Deschênes, professeure au Département des sciences de la gestion de l’UQAR et chercheuse principale du projet.
Gare à l’EDI performative
Équité, diversité, inclusion. Ces mots font bonne figure pour améliorer une image de marque. Au-delà des beaux principes, il est primordial que les politiques EDI se développent grâce à des mesures concrètes aux résultats tangibles, sans quoi, elles tomberont dans le piège de l’EDI performative. « L’EDI ne doit pas être juste un discours, c’est vraiment une approche stratégique pour améliorer les environnements de travail », résume Valérie Lederer.
Joanie Caron, de l’UQAT, compare ces façades de diversité et d’inclusion à l’écoblanchiment, cette technique de marketing visant à donner l’apparence de pratiques écoresponsables. Elle a notamment été témoin d’EDI performative dans des contextes d’employabilité autochtone. « Il y a de plus en plus d’ouverture aux cultures autochtones, se réjouit-elle, mais, on ne se le cachera pas, l’industrie de l’exploitation des ressources naturelles cherche aussi l’acceptabilité sociale de ses projets. »
Malgré les vents contraires qui soufflent sur ces programmes, les milieux de travail ont tout à gagner à instaurer des politiques EDI. « La diversité va continuer à exister, convient Valérie Martin. Est-ce qu’on veut avoir une réflexion structurée pour que tous nos employés continuent à performer ? Pour ça, il faut être capable de prendre en considération les besoins de cette diversité. »