Qu’elles soient surreprésentées dans certains milieux de travail ou en minorité dans d’autres, les femmes actives font face aux mêmes défis : continuer à se tailler une place et travailler à faire reconnaître leurs droits.
Prendre soin de celles qui prennent soin
Encore aujourd’hui, le travail du soin (ou le care, en anglais) est majoritairement exercé par les femmes, et ce, jusque dans la sphère privée. Arrivées à la quarantaine, les femmes doivent parfois s’occuper de leurs jeunes enfants et de leurs parents vieillissants en même temps. « Elles doivent alors souvent diminuer leurs heures de travail », constate Geneviève McCready, professeure au Département des soins de la santé à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et ancienne infirmière.
Elle dirige aujourd’hui le Laboratoire d’expérimentations politiques pour améliorer les conditions des travailleuses du care (LE-PACT). Le but : mêler approche artistique et recherche-action participative pour créer un dialogue entre différents groupes, qui gravitent autour du soin d’autrui dans le Bas-Saint-Laurent.
C’est la pandémie qui a incité Geneviève McCready à vouloir combattre le travail en vase clos. « Pendant que les politiciens ignoraient ce qui se passait sur le terrain, je lisais les témoignages des infirmières sur les forums en ligne. Je me suis dit qu’il y avait des savoirs inutilisés », explique-t-elle. Depuis quelques mois, le projet réunit proches aidants, personnes du milieu communautaire, personnel soignant, gestionnaires ainsi que politiciens et politiciennes lors de rencontres qui permettent à tous et toutes de partager leur réalité.
Et pour faire tomber les barrières, la chercheuse innove en intégrant des artistes au processus. « Il y a quand même une relation de pouvoir entre tous ces acteurs. On pense que l’art est un moyen de communication qui déstabilisera tout le monde de la même manière. » En créant ce dialogue inusité, la chercheuse espère que les préjugés seront défaits et le pouvoir d’agir modifié, et que l’échange se poursuivra après la fin du projet.
Leader dans un milieu masculin
Si, dans plusieurs milieux majoritairement féminins, on observe une prédominance des hommes dans les postes de leadership, l’écart est encore plus frappant dans les milieux traditionnellement masculins, comme celui de la construction. « J’ai occupé des postes de direction durant une quinzaine d’années dans de grands chantiers et dans l’industrie métallurgique. Nous étions environ 12 % de femmes dans les équipes de direction et d’organisation », confie Katy Langlais, professeure en management et ressources humaines à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Portée par sa propre expérience, elle s’intéresse, dans ses recherches, à toutes les formes de leadership, et plus particulièrement à la contribution du leadership exercé par les femmes.
Dans le milieu des mines et des ressources naturelles, par exemple, où la main-d’œuvre compte si peu de femmes, leur promotion à des rôles de gestion est encore plus difficile. « Il ne suffit pas de dire aux femmes de faire leur place. Il faut changer les méthodes ; les hommes doivent être des alliés dans les organisations pour s’assurer de leur faire davantage de place », avance-t-elle.
Et même si on note une amélioration dans les dernières années, la pandémie aura fait mal ici aussi. « Il y a eu un recul, observe Katy Langlais, qui reste cependant optimiste. De nouvelles générations arrivent sur le marché du travail, et elles n’acceptent plus le modèle du gestionnaire qui impose. Elles veulent travailler en collaboration. »
Adapter plutôt qu’exclure
Règles, grossesse, ménopause… Ces épisodes qui rythment la vie des femmes ont longtemps été ignorés ou perçus comme des problèmes par les entreprises. De moins en moins taboues, ces réalités restent encore des obstacles à l’épanouissement des femmes au travail.
« Il faut parler menstruations au boulot, lance d’emblée Marie-Pier Bernard Pelletier, professeure de relations de travail à l’École des sciences de l’administration de l’Université TÉLUQ. Une prise de conscience collective s’impose pour amorcer un changement significatif dans les milieux de travail et les pratiques organisationnelles. » En l’absence de mesures d’accommodement (salles de repos, télétravail, horaires flexibles, etc.), « de nombreuses femmes sont contraintes de refuser des promotions, de choisir des emplois à temps partiel ou même de changer de poste afin de mieux gérer leurs symptômes menstruels », explique-t-elle.
Du côté de la grossesse, les choses sont mieux encadrées, mais « le droit des femmes reste toujours fragile », souligne Anne Renée Gravel, professeure de l’École des sciences de l’administration à l’Université TÉLUQ. Même si le droit au retrait préventif est reconnu par la loi depuis de nombreuses années, « il y a toujours eu des revendications des parties patronales, qui le trouvent notamment difficile à gérer », explique cette ancienne gestionnaire et syndicaliste, qui s’est penchée pour la première fois sur le retrait préventif chez les infirmières lors de son doctorat déposé en 2017. Heureusement, la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, adoptée en 2021, a fermé la porte à ces contestations. Depuis janvier 2023, le directeur national de santé publique élabore des protocoles qui permettent de recenser les conditions de travail potentiellement dangereuses de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
Longtemps géré comme un programme de congé familial, le droit de retrait préventif des travailleuses enceintes n’est pas synonyme de retrait du travail. Il prévoit plutôt le maintien de la travailleuse dans un environnement sain et sécuritaire, soit en allégeant ou en adaptant sa tâche, soit en la transférant dans un autre poste, où elle peut développer d’autres compétences. Chaque année, plus de 30 000 femmes enceintes se prévalent de leur droit de retrait préventif, et plus de la moitié sont maintenues à l’emploi.
Avec la pénurie de main-d’œuvre, on commence à déployer plus d’efforts pour mettre à profit d’autres compétences plutôt que de simplement renvoyer à la maison les travailleuses enceintes, précise Anne Renée Gravel. « Les femmes me disent souvent, “je suis enceinte, ce n’est pas une maladie ! J’ai un cerveau et des compétences !”. Quand ça fonctionne bien, les travailleuses sont satisfaites et acquièrent de nouvelles compétences », résume-t-elle. La chercheuse donne l’exemple d’une infirmière bachelière qui a réorganisé la pharmacie et accédé à un autre poste ensuite, ou celui d’une autre qui, grâce au fait de s’être assise avec ses patientes et patients en dialyse plutôt que d’être restée debout, s’est rapprochée de ceux-ci.
Après s’être plongée dans des milieux traditionnellement féminins, Anne Renée Gravel s’intéressera prochainement à la façon dont la question du retrait préventif est vécue chez les travailleuses de la construction et chez les travailleuses précaires de l’hôtellerie (souvent issues de l’immigration), qui ne connaissent pas toujours leurs droits en la matière.
Photo: Shutterstock