Thomas Patterson tient une image de la bactérie Acinetobacter baumannii, tandis que Steffanie Strathdee présente une image d’un bactériophage, un virus capable d’infecter et de détruire cette bactérie. Photo: UCSD Health
La vie du chercheur américain Thomas Patterson a été chamboulée par une infection fulgurante. Il nous raconte comment les bactériophages, des virus mangeurs de bactéries, l’ont sauvé.
En novembre 2015, Thomas Patterson contracte en Égypte une infection à Acinetobacter baumannii, une bactérie multirésistante qui envahit progressivement ses organes et le plonge dans le coma. Sa conjointe Steffanie Strathdee, épidémiologiste, le sauve grâce aux bactériophages, des virus ciblant les bactéries. Ils publient The Perfect Predator en 2019 pour sensibiliser le public à cette thérapie. Entrevue avec Thomas Patterson.
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Québec Science Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ces longs mois de maladie ?
Thomas Patterson Le premier choc a été de tomber malade dans un pays étranger, avec une maîtrise limitée de l’anglais, et un personnel soignant qui ne parlait pas ma langue. Puis, il y a eu le transfert en Allemagne, et l’évacuation vers San Diego. Peu de temps après, je plongeais dans le coma.
Dans le livre, mes hallucinations occupent une place importante au début des chapitres. Steffanie et moi avons découvert que nos expériences étaient très différentes, même si nous étions au même endroit.
QS Vous souvenez-vous d’avoir serré la main de votre femme lorsqu’elle vous a demandé si vous acceptiez la thérapie par les bactériophages?
TP Oui, je m’en souviens. Dans mon esprit, j’étais persuadé d’être un serpent filmé pour un documentaire sur la mort. Cette illusion était alimentée par la bronchoscopie – un tube inséré dans ma gorge – qui ressemblait à un serpent.
Quand Steffanie m’a demandé si je voulais vivre ou si je voulais lâcher prise, elle a dit qu’elle comprenait mon combat et que c’était à moi de décider. Je voulais lui serrer la main, mais en tant que serpent, je n’avais pas de mains! Il m’a fallu du temps pour comprendre comment réagir. Finalement, j’ai imaginé que j’enroulais mon corps de serpent autour de sa main. Et apparemment, je l’ai serrée très fort.
QS Si une nouvelle infection survenait, accepteriez-vous de recevoir une autre thérapie par les bactériophages?
TP Absolument. Des millions de phages circulent naturellement dans notre corps chaque jour. En un sens, nous bénéficions déjà de cette thérapie en permanence [les bactériophages sont présents tout autour de nous et même en nous, dans nos intestins par exemple].
À mesure que la thérapie par les phages deviendra plus courante, que nous développerons des banques de phages et que nous comprendrons mieux les dosages et les éventuelles toxicités pour différents types de phages, cela fonctionnera à la manière d’un traitement antibiotique : les médecins identifieront rapidement les bactéries résistantes et utiliseront des phages adaptés pour les traiter.
Je n’ai ressenti aucun effet secondaire avec les doses de bactériophages que j’ai reçues, contrairement aux antibiotiques, qui peuvent provoquer des nausées ou d’autres effets indésirables.
QS Qu’espérez-vous que l’on retienne de votre histoire ?
TP J’étais, et je suis toujours, un chercheur sur le VIH/SIDA. Je sais à quel point ce virus est terrible, mais les traitements s’améliorent. Nous voyons souvent les virus comme des ennemis. Nous ne réalisons pas qu’il y a aussi de bons virus, et les phages en sont la preuve.
En cette ère de superbactéries, la thérapie par les phages sera essentielle pour traiter des infections incurables avec les antibiotiques traditionnels.
Il est important de comprendre qu’être hospitalisé pendant neuf mois n’est qu’une partie du combat. Le rétablissement prend cinq fois plus de temps que la durée d’hospitalisation. À mon réveil, j’ai dû réapprendre à parler, à avaler et à marcher. Mes muscles étaient totalement atrophiés. La longue période de rétablissement a été vraiment difficile : l’hospitalisation prolongée, les hauts et les bas, la nécessité d’être « branché » au respirateur en étant incapable de parler…
Il ne faut pas non plus oublier les proches, et la personne qui s’occupe de vous. Cela demande énormément de sacrifices. Ayant également étudié le rôle des aidants naturels auprès des patients atteints d’Alzheimer, je sais à quel point cette charge affecte le corps et l’esprit. Il est essentiel d’en être conscient et de se préparer à y faire face.
QS Et aujourd’hui, comment allez-vous?
TP Ma santé n’est pas parfaite, mais je vais bien. Je fais ma marche quotidienne d’une heure, environ 5 kilomètres. Nous avons beaucoup voyagé, dans sept pays, depuis ma maladie. Si les phages avaient été disponibles dès le début de ma maladie, je n’aurais peut-être passé qu’une ou deux semaines à l’hôpital, au lieu de neuf mois. L’infection prolongée a laissé des séquelles. Je suis maintenant diabétique, car l’infection a endommagé une partie de mon pancréas, et j’ai des problèmes digestifs. Je ne vais pas me plaindre. Être encore en vie est une chance inestimable!
Quelques conseils de Thomas Patterson pour les personnes qui se réveillent d’un coma et leurs proches
- Vivez l’instant présent! « Pensez à toute la journée peut devenir accablant », rappelle-t-il. Concentrez-vous plutôt sur chaque petit progrès.
- Soyez attentif à vos paroles. Même inconsciente, une personne dans le coma pourrait entendre et interpréter ce qui se dit autour d’elle. « Certaines conversations influençaient directement mes hallucinations », confie Thomas Patterson.
- Stimulez son esprit. Parlez-lui, racontez des histoires, partagez des souvenirs. « L’une de mes filles me parlait d’ oiseaux, l’autre me jouait de la musique, et Steffanie me parlait. »