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L’habitat urbain du martinet ramoneur se transforme. Ce petit oiseau saura-t-il regagner la forêt?
Je suis un petit oiseau migrateur noirâtre, aux ailes en forme de boomerang. J’adore tant voler et virevolter que je me pose rarement. On dit que je parcours l’équivalent de cinquante fois le tour de la Terre en une année. Au vol, je dévore tous les insectes qui me tombent sous le bec. Étant une créature de l’air, j’ai des pattes qui, au gré de l’évolution, sont devenues courtes et faibles, si bien que je n’arrive qu’à me percher sur des surfaces verticales, utilisant ma queue comme troisième point d’appui.
Pendant longtemps, j’ai trouvé refuge dans les arbres creux, à l’abri du vent, de la pluie et des prédateurs. Puis, tout a changé. Au 17e siècle, une vague humaine déferle sur l’Amérique du Nord, où je passe mes étés. Ces hommes et ces femmes commencent à couper les vieilles forêts peuplées d’arbres sénescents où je loge. Ils et elles érigent des bâtiments de bois et de pierres. Heureuse surprise : leurs cheminées, inutilisées durant la saison chaude, se révèlent idéales pour m’abriter et y nidifier. Je m’en entiche tant que j’abandonne, bon gré mal gré, le bois mort. Je deviens le « martinet ramoneur ».
Une nouvelle vie commence. Chaque été, avec mon partenaire de couple, nous bâtissons un nid sur la paroi intérieure de notre cheminée. Notre salive permet de coller les brindilles. Nos oisillons, peu après leur naissance, grimpent sur le mortier, les moellons ou la brique jusqu’à l’embouchure de la conduite, où nous les nourrissons d’insectes. Vers le mois d’août, je me réunis avec mes semblables pour entreprendre notre grande migration vers l’Amazonie. Chaque soir, notre nuée cherche une grande cheminée – celle d’une église, d’une manufacture ou d’une bibliothèque – pour y passer la nuit.
Cette adaptation nous réussit bien. Au début du 19e siècle, le naturaliste franco-américain Jean-Jacques Audubon nous admire à Saint Francisville, en Louisiane, au moment de la migration. Un soir, il compte un millier d’entre nous pénétrer dans une seule cheminée. Déjà, à son époque, nous observer en forêt est une rareté. Dans Birds of America, Audubon relate qu’au Kentucky, on le met sur la piste d’un immense sycomore, de huit pieds de diamètre, mort depuis belle lurette, et fréquenté par des martinets. Il décide d’investiguer. Nous voyant entrer nombreux dans les fissures de l’arbre au coucher du soleil, il pratique une ouverture dans le tronc pour jeter un œil à l’intérieur. Par une belle nuit, l’ornithologue rampe jusqu’à la cavité centrale et découvre des parois tapissées d’oiseaux. Éberlué, Audubon estime notre nombre à 9000 !
Deux siècles plus tard, nous, martinets ramoneurs, sommes en eaux troubles. Au Canada, notre population a fondu de 90 % en cinq décennies, selon les relevés officiels. Nous sommes moins nombreux à nidifier au Québec que nous l’étions, sous les yeux d’Audubon, à nous abriter dans un seul arbre creux. Aux États-Unis aussi, nous nous éteignons à petit feu. Bien sûr, je n’échappe pas aux troubles que vivent tous les oiseaux insectivores. L’industrialisation de l’agriculture et les pesticides me creusent le ventre. Le changement climatique dérègle mes habitudes. Et comme c’est le cas pour les autres volatiles, mon habitat se dégrade – mais, dans ma situation, cet habitat était devenu anthropique, et les raisons de sa déchéance sont bien particulières.
À partir de la deuxième moitié du 20e siècle, les humains ont délaissé le bois de chauffage, préférant utiliser le mazout, le gaz et l’électricité. Peu à peu, les vieilles cheminées ont disparu du paysage. Celles qui restent ont été grillagées, bouchées, gainées de métal. Depuis 2007, le gouvernement du Canada juge que nous sommes une espèce menacée. Voulant protéger notre habitat, il a interdit, durant la saison estivale, de ramoner les cheminées où nous nichons ! Au Québec, la Ville de Mont-Saint-Hilaire répertorie et protège les cheminées où nous pouvons loger. Tant mieux, mais les foyers traditionnels demeurent une espèce en voie de disparition…
Ce printemps, lors de mon passage migratoire dans le sud du Québec, un humain m’a attrapé au filet, puis a posé un émetteur sur mon plumage. Ce biologiste veut découvrir le lieu exact de mon estivage. Les scientifiques pensent que, faute de cheminées, certains des miens nidifient en forêt. Pourrai-je retourner couver mes œufs et élever mes petits dans un arbre creux ? Les ornithologues pensent qu’à long terme, c’est l’unique avenue vers le rétablissement de mon espèce. Pour cela, les humains devront laisser en paix les forêts anciennes afin qu’y réapparaissent de gros chicots pouvant m’abriter. Même si j’ignore comment mes frères et sœurs nichent dans la nature, je pourrais l’essayer cet été. Qu’ai-je à perdre ?
Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.
Serait-ce que cet article pourrait nous faire penser à l’autruche dont les ailes se seraient atrophiées au cours de son évolution, ayant trouvé, par pression de nécessité, un moyen plus facile pour se nourrir, se gîter, se reproduire, etc. ? Cependant, comme dirait l’expression connue, pourrions-nous vraiment parler d’adaptation lorsque l’on aurait tout cuit dans le bec (des capacités innées ou acquises) ? Effectivement, comme pour notre propre évolution d’hominidé, à quoi pourrait servir certaines parties de notre corps (coccyx, appendice, etc.) qui se seraient atrophiées avec le temps tout en ayant moins eu de fonction ? Des pattes moins adaptées à l’horizontalité et à larguer pour le martinet ramoneur (ou le colibri), certes, mais comme pouvant aussi avoir la capacité de pêcher au vol des tas insectes, nidifier dans des cheminées ou des trous d’arbres ? Maintenant, à cause de tous les facteurs anthropiques mentionnés, nous verrons bien ce que cette espèce pourrait découvrir, non pas pour s’adapter, encore une fois, mais pour survivre. À ce moment, pour elle et pour être vigilant, ce serait toujours la loi qualitative qui se présenterait, non pas du plus ou moins (quantitative), mais bel et bien celle du tout ou rien (ça passerait ou ça casserait). Merci et félicitations.
Merci de ce texte sur le martinet ramoneur (chaetura pelagica), un oiseau peu connu et dont les effectifs ont beaucoup diminué. En plus de son habitat particulier, les cheminées (bien que j’imagine qu’un vieux clocher pourrait convenir…), le martinet ramoneur est menacé par son régime d’insectivore aérien alors que la population d’insectes est également en chute libre (excusez mon jeu de mots faciule).
J’observe / entends depuis de nombreuses années les cris d’un oiseau nocturne que je crois être ceux d’Engoulevent d’Amérique (chordeiles minor). Plus surprenant, mes observations se font sur le terrain plutôt inhospitalier des quartiers centraux de Montréal dont le Plateau Mont-Royal. J’ai aussi fait des observations dans Côte-des-Neiges près de l’Université de Montréal. L’application mobile gratuite Merlin de la Cornell University me dit qu’il s’agirait d’un engoulevent d’Amérique.
J’aimerais en apprendre davantage sur cet étrange oiseau. Il semble se nourrir en volant en attrapant des insectes au dessus des habitations. On m’a dit qu’il habitait les cheminées ou les clochers? Avec le déclin dramatique des populations d’insectes, je suis surpris qu’il en reste dans nos villes. Quel est son statut de conservation?
Merci, continuez votre beau travail!
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE
père de famille écoanxieux
entrepreneur, Ph. D. en IA
P.-S.: Un fichier sonore .wav accessible sur Google Doc
Selon le COSEPAC, l’Engoulevent d’Amérique est une espèce jugée préoccupante, dont la population aurait chuté de 68 % depuis 1970. Comme vous le soulignez, cet insectivore aérien niche un peu partout dans le sud du Québec. Le Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional (un excellent guide de référence!) précise que les causes de ce déclin demeurent incertaines, bien que plusieurs facteurs soient suspectés dont la diminution des populations d’insectes, l’intensification des pratiques agricoles et les feux de forêt. En milieu urbain, la raréfaction des sites de nidification et la prédation des nids par des espèces comme la corneille d’Amérique pourraient également contribuer à la diminution de sa population.
Les spécialistes de Québec Oiseaux ont publié un dépliant sur la protection de l’Engoulevent d’Amérique, dont le statut actuel au Canada est « espèce préoccupante ». Il niche dans le gravier, sur les toits. Si vous avez un toit plat, on suggère d’installer un coin avec du gravier afin de permettre à l’Engoulevent de nicher en étant camouflé.
Québec Oiseaux propose également cette page avec plusieurs conseils pour aider à protéger les oiseaux en milieu urbain: https://www.quebecoiseaux.org/fr/milieu-urbain