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03 juillet 2025
Temps de lecture : 2 minutes

La dernière commune du Québec

À La Visitation-de-l’Île-Dupas, en été, les îles sont des pâturages sans clôtures. Photo: Wikimedia Commons/Msavage

À la recherche d’un équilibre entre la nature et la paysannerie, dans l’archipel du lac Saint-Pierre.

Avril 2025. Les îles du lac Saint-Pierre se réveillent. Sur la Dupas, la Saint-Ignace ou celle aux Castors, on prépare la saison agricole. Maïs et soya seront semés. Dans les marais littoraux, les grenouilles coassent. La crue, qui n’avait rien d’impressionnant cette année, redescend déjà. Un nouveau cycle s’amorce sur l’archipel, joyau naturel et historique du Québec, encastré dans une enflure lacustre du fleuve Saint-Laurent en aval de Sorel-Tracy.

Je me rends sur ces îles pour une raison précise : depuis la colonisation de la Nouvelle-France, on y exploite des pâturages collectifs, et je voulais voir ce qu’il en reste. À leur belle époque, ces « communes » voyaient des milliers d’animaux – bovins, ovins, chevaux – arriver chaque printemps, paître durant tout l’été, puis reprendre la route de l’étable à l’automne. Nul propriétaire n’avait préséance sur les terres, gérées collectivement par des dizaines de petits éleveurs dont les bêtes s’entremêlaient.

De telles communes existaient ailleurs le long du Saint-Laurent, mais celles du lac Saint-Pierre avaient l’avantage d’être situées sur des îles, ce qui empêchait les animaux de prendre la clé des champs. Elles étaient établies sur les terres insulaires les plus basses, inondées chaque printemps, qui se prêtaient mal aux cultures, mais dont le sol se révélait néanmoins très fertile grâce aux crues riches en limon.

En mai 1966, le jeune géographe Rodolphe De Koninck avait assisté à l’ouverture saisonnière des communes. « C’était assez spectaculaire ! » se rappelle celui qui avait consacré son mémoire de maîtrise à ces îles. La plupart des communaux amenaient leurs bêtes par camion, parfois d’aussi loin que de L’Assomption ou de Saint-Ours, mais certains faisaient encore marcher leurs animaux, à l’ancienne, empruntant ponts et barges. Son enquête rapporte cette saison-là l’entrée de 2170 bovins, 540 ovins et 150 chevaux dans les cinq communes du lac Saint-Pierre.

Déjà lors, ces communes – les dernières au Québec – étaient en perte de vitesse. À partir de 1964, l’intervention de brise-glaces a rendu possible la navigation à travers le lac Saint-Pierre tout l’hiver, ce qui prévenait la formation d’embâcles, réduisant du même coup l’ampleur des inondations printanières. « Il est grand temps que les communes s’adaptent, sinon elles ne pourront survivre. Les eaux limoneuses ne nourrissent plus les terres communales et l’on tarde à labourer, à semer », écrivait Rodolphe De Koninck, aujourd’hui professeur émérite à l’Université de Montréal.

Bondissons à cette année. Yannick Bergeron m’accueille devant la barrière de la commune de l’île Dupas. L’homme de 51 ans est le syndic de cette terre de 671 hectares – une mosaïque de pâturages, de forêts, de marécages et de marais, qui occupe le tiers aval de ladite île. « Pour mes animaux, c’est le paradis ! » s’exclame cet éleveur de 30 vaches Angus, qui fréquente les lieux depuis son enfance.

Il s’agit de la dernière commune du lac Saint-Pierre, et donc de la province, à accueillir des animaux. Elle est désormais toute clôturée, afin de protéger le rivage du broutage et d’empêcher le ruissellement du lisier. L’an dernier, 250 vaches, venant de 6 élevages, ont savouré ses vertes herbes. Les droits communaux peuvent être vendus ou loués, mais le plus souvent, ils restent dans les familles de génération en génération.

Si les vaches trouvent ici leur eldorado, leurs propriétaires n’y font pas fortune. Les veaux engraissent moins vite qu’à l’étable moderne, où ils dévorent maïs et soya. « Le rendement ne justifie pas d’amener les bêtes ici », explique tristement Yannick Bergeron. Afin de réussir à payer ses taxes foncières, la commune accueille un organisme de conservation et un pourvoyeur de chasse à la sauvagine, qui lui versent chacun un petit loyer.

J’ai peine à croire que, dans notre système agroalimentaire actuel, axé sur une impitoyable performance, les pâturages communaux puissent ressurgir. Nous devrions néanmoins protéger cet héritage inspirant, qui démontre que les gens peuvent s’unir pour exploiter un bien collectif, à la recherche d’un certain équilibre avec l’écosystème. « On a tout le temps fait partie de la nature », me dit le paysan alors qu’une hirondelle file dans le ciel.

Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.

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GERMAINE LA VALLÉE
5 mois il y a

Je suis née et vécue à l’île de Grâce jusqu’à 1950. Des espaces et des terres basses étaient réservées aux paturages durant tout l’été. Spécialement les bovins et la chevaux.

Claire L.
4 mois il y a

Je me rappelle du pâturage sur l’île du Moine à Sainte-Anne de Sorel et du barque pour transporter les animaux sur l’île au printemps et à l’automne pour les sortir. Le pâturage a cessé à cause des excréments des animaux qui polluaient les eaux du Saint Laurent,

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