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Verdir les cours d’école s’avère une solution simple contre la chaleur. Mais ce n’est pas facile à mettre en œuvre.
Saïda Skalli est enseignante dans une école primaire dans le quartier Hochelaga, à Montréal. Entre le tiers et la moitié de la surface de sa cour d’école est recouverte de gazon ou de paillis. « Je me considère très chanceuse, je ne vis pas la grande misère que d’autres vivent! » Pourtant, elle remarque que les canicules affectent de plus en plus la qualité de vie à l’école. « Il y a de plus en plus de journées de canicule où les élèves restent en classe, car l’extérieur est devenu insupportable », lance-t-elle.
Lorsque le soleil plombe, il peut y avoir jusqu’à quatre degrés Celsius de différence entre un milieu urbain et un espace naturel. Pourtant, la grande majorité des cours d’école québécoises sont encore asphaltées.
Saïda Skalli fait partie d’un petit groupe d’enseignantes et d’enseignants qui préfère le verdissement à la climatisation pour contrer les îlots de chaleur urbains (ICU) « parce que la climatisation, ça réchauffe davantage les villes », dit-elle.
Îlots de chaleur en zone scolaire
Les surfaces sombres, comme l’asphalte ou les briques rouges d’un mur, absorbent jusqu’à 90 % de l’énergie solaire. Par conséquent, un trottoir peut atteindre 80 °C sous un soleil d’été et ainsi réchauffer l’air ambiant, selon un rapport de l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ).
« Si vous mettez un œuf sur l’asphalte en plein milieu d’une journée d’été, il va cuire », explique Philipe Gachon, professeur de géographie à l’Université du Québec à Montréal.
Selon l’Institut national de santé publique du Québec, l’accès à des aires de rafraîchissement est parfois essentiel pour soulager la population des effets néfastes de la chaleur accablante. « Il faut qu’on repense nos milieux de vie, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, pour réduire ce problème de chaleur urbaine qui va s’aggraver avec le réchauffement climatique », insiste M. Gachon.
Il affirme que le fait de limiter les ICU dans les cours d’école profiterait à l’ensemble de la communauté. « C’est là qu’on envoie nos enfants, qu’on enseigne, qu’on pratique des sports, qu’on organise des fêtes de quartier… C’est vraiment le lieu de rassemblement de n’importe quelle communauté », soutient-il.
Retirer l’asphalte des espaces communautaires, dont les écoles, est la mission du projet Sous les pavés du Centre d’écologie urbaine (CEU) de Montréal. « Ajouter des fosses d’arbres permet d’apporter de l’ombre dans la cour, mais aussi aux classes », ce qui pourrait être bénéfique en période caniculaire, explique Raphaëlle Dufresne, coordonnatrice au CEU.
Bien qu’elle admette que « tout le monde est pour le verdissement », le Centre n’a pu aménager que quelques cours d’école, puisque les travaux de verdissement dans une ville comme Montréal s’avèrent souvent plus complexes qu’un simple retrait d’asphalte.
Ils peuvent parfois nécessiter une excavation, la décontamination des sols, l’imperméabilisation des fondations, l’aménagement d’un bassin de rétention d’eau pluviale, etc. Ainsi, convaincre toutes les personnes concernées des Centres de services scolaires et trouver les investissements nécessaires peut s’avérer fastidieux.
Selon Mme Dufresne, les coûts varient beaucoup. « Est-ce qu’on crée une petite forêt dense de plusieurs strates, ou plante-t-on simplement quelques arbres? Généralement, les projets restent modestes et gravitent autour de 30 000 $ de budget, bien qu’ils puissent atteindre 100 000 $ selon l’ampleur. »
Transformer l’enseignement
Deux arbres matures : ce sont les seules sources d’ombre de la cour d’école de Saïda Skalli. « S’il y avait vraiment plus d’arbres et quelques bancs, je pense que beaucoup plus d’enseignants proposeraient de faire la classe à l’extérieur », dépeint-elle.
Jean-Philippe Ayotte-Beaudet, titulaire de la Chaire de recherche en éducation en plein air de l’Université de Sherbrooke, abonde dans le même sens. De plus en plus d’enseignants et d’enseignantes s’intéressent à l’utilisation de la cour d’école, des parcs, des boisés ou de la ruelle comme des espaces pédagogiques. Parmi ces lieux extérieurs, c’est la cour d’école qui est le plus utilisée.
Le professeur de pédagogie ajoute que ce nouveau type d’enseignement est une façon de renouveler l’intérêt et l’engagement des jeunes. « On peut y faire des sciences, des activités de mathématiques, de l’exploration, pour aller découvrir les formes géométriques ou pour prendre des mesures », nomme-t-il en rafale.
Mais comme chaque école a ses propres réalités, M. Ayotte-Beaudet croit qu’avant toute rénovation de la cour, la consultation de ses utilisateurs et utilisatrices est primordiale. « On doit consulter les jeunes, mais aussi le personnel et le service de garde pour savoir ce qu’ils font et ce qu’ils ont envie de faire de leur cour d’école. »
Pour Philippe Gachon, verdir les espaces urbains communautaires « n’est pas juste une responsabilité intergénérationnelle, c’est aussi une responsabilité envers des gens qu’on a mis au monde. »