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06 octobre 2022
Temps de lecture : 2 minutes

L’abominable quête de la nouveauté novatrice en science

Image: Gerd Altmann/Pixabay

La recherche doit-elle toujours être du dernier cri ?

Un chercheur très réputé m’a beaucoup émue il y a quelques années. Malgré sa vie de jet-setteur et ses deux postes dans de prestigieux établissements de recherche, il était inquiet. Dans son domaine, la tendance était à la technologie CRISPR-Cas9, pas du tout compatible avec ses axes de recherche et ses techniques « à l’ancienne ». « J’ai peur de devenir un dinosaure », a-t-il lâché.

C’est que le monde de la recherche carbure à la nouveauté. Et c’est vrai qu’il y en a eu beaucoup entre la publication de la structure de l’ADN sous forme de double hélice en 1953 et les dernières prouesses de CRISPR-Cas9 sur des chromosomes entiers.

Une étude publiée récemment dans JAMA Network Open est éloquente à ce sujet. Elle a montré que la fréquence de 130 adjectifs hyperboliques a augmenté de 1 300 % entre 1985 et 2020 dans les dossiers retenus par les National Institutes of Health (NIH), l’agence américaine qui finance la recherche en santé aux États-Unis et qui soutient aussi des scientifiques du Canada. La majorité des adjectifs alimentent cette tyrannie de la nouveauté : on parle de mots tels que incroyable, excitant, novateur, sans précédent.

Tentez l’expérience : une simple requête dans le moteur de recherche PubMed fait ressortir 21 700 articles scientifiques contenant le mot novel (« novateur ») pour 2001. Dix ans plus tard, le mot est trois fois plus présent. Et en 2021, sept fois plus courant ! Certes, le volume d’études publiées a crû au cours de cette période, mais pas à ce point.

Toute la structure de recherche incite à ces orientations ou abus langagiers. Si les scientifiques les utilisent dans leurs dossiers pour les NIH, c’est parce que les organismes subventionnaires encouragent les projets « novateurs ». Ils cherchent des « matériaux nouveaux » et des « approches innovantes » portant sur des « questions de recherche nouvelles, progressives, novatrices ».

Les éditeurs de journaux et les pairs qui accomplissent le travail de révision des articles scientifiques ou des soumissions pour une conférence sont aussi biaisés en ce sens. Dans un texte d’opinion publié dans eLife en 2017, le généticien américain Barak Cohen s’insurgeait contre ce commentaire incompréhensible accompagnant le rejet d’un de ses manuscrits : « La principale nouveauté de ces travaux est la capacité de prédire la sensibilité aux médicaments. Les examinateurs ont estimé que cette capacité de prédiction serait toutefois très difficile à généraliser, ce qui réduit la portée de cette nouveauté. Cette préoccupation concernant la nouveauté […] a été le facteur déterminant dans cette décision. »

M. Cohen ajoute : « Même si nous ne pouvons pas définir strictement ce qui est ou n’est pas nouveau, le message reste clair : la nouveauté est synonyme de bonne recherche. » Il se demande d’ailleurs à quel point cette obsession pour la nouveauté est nouvelle…

Dans son guide à l’intention des réviseurs, paru plus tôt en 2022, le chercheur Michael J. Black, de l’Institut Max-Planck pour les systèmes intelligents, en Allemagne, tente quant à lui de clarifier le vocabulaire. « Je vois régulièrement des réviseurs confondre la complexité, la difficulté et la technicité avec la nouveauté. Dans la critique scientifique, la nouveauté semble impliquer ces concepts. Il serait peut-être plus judicieux de supprimer le mot nouveauté des instructions de révision et de le remplacer par beauté. Ce terme élimine les notions de “technique” et de “complexité” et va plus au cœur de la nouveauté scientifique », écrit-il.

Chose certaine, cette fureur pour la nouveauté incite la communauté scientifique à déposer des projets suivant les modes. Pourtant, en science, la nouveauté n’est pas tout ! Les travaux qui visent à confirmer ou à infirmer ce qui a déjà été démontré sont importants aussi. Et ceux qui ajoutent un morceau à un casse-tête au lieu de jeter la boîte sont immensément précieux. C’est le cœur de la recherche ! Les études « révolutionnaires » sont en réalité très rares. La technologie CRISPR-Cas9 elle-même est issue de 1 000 morceaux de casse-tête qui, réunis, ont mené à un prix Nobel !

Sans oublier que plusieurs technologies qui datent demeurent intéressantes pour faire avancer les savoirs. Ressortons le bon vieux microscope optique de temps en temps !

Enfin, la course à la nouveauté encourage la publication rapide pour diffuser quelque chose de « nouveau » avant l’autre, avec tous les risques que cela comporte.

Pour revenir au mot novel, l’auteur de l’étude sur les 130 adjectifs affirme que l’éditeur d’une revue médicale lui a confié que le lire était devenu équivalent pour lui à entendre des ongles gratter un tableau noir. Il y a peut-être de l’espoir pour une « nouvelle » ère !

Il y a plus de 200 ans, dans la pièce de théâtre Les comédiens, l’académicien français Casimir Delavigne écrivait, tel un conseil aux communautés littéraire et artistique : « Aimons les nouveautés en novateurs prudents. » Inspirant, non ? La preuve que le « vieux » aussi peut être moderne.

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