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21 août 2025
Temps de lecture : 2 minutes

Décontaminer la science

Illustration: portrait en noir et blanc de Marine Corniou.

Plus de trois millions d’articles sont publiés chaque année dans les revues scientifiques. Or, une véritable industrie d’articles frauduleux vient contaminer ce corpus de connaissances. Comment dépolluer la science?

Vous avez peut-être déjà entendu cette injonction qui gangrène le monde de la recherche : « Publier ou périr ». Pour monter un laboratoire, obtenir du financement, attirer la main-d’œuvre étudiante, les scientifiques doivent publier le plus souvent possible leurs résultats de recherche dans les revues savantes. Plus ils ont d’articles acceptés dans des journaux prestigieux, plus ils sont reconnus par la communauté. Chaque jour, 15 000 nouveaux articles scientifiques sont ainsi publiés dans le monde !

Ce partage des connaissances est à la base du fonctionnement de la science. Mais il a pris un tournant pervers : la pression à la publication est telle qu’elle pousse certains scientifiques peu scrupuleux à soumettre à la va-vite des études de mauvaise qualité, voire à plagier ou à falsifier des données. Résultat, le nombre d’articles « rétractés », c’est-à-dire invalidés après leur publication en raison de fraude, d’inexactitude ou d’erreurs (parfois de bonne foi, précisons-le), atteint des sommets. En 2023, plus de 10 000 articles ont ainsi été « rayés » de la littérature scientifique – non sans avoir été lus et cités par d’autres entretemps. Et non sans rester disponibles en ligne… Même si les articles frauduleux sont minoritaires, certains sont influents ; et tous contribuent à discréditer la recherche et à donner des munitions aux mouvements anti-science.

Cette pollution a beau être dénoncée depuis des années, elle continue à prendre de l’ampleur. Ceci s’explique en partie par l’essor de sociétés spécialisées dans la fraude, dopées par l’intelligence artificielle. Appelées usines à articles (paper mills, en anglais), elles vendent des articles de recherche complètement factices, mais clés en main. On paie pour y apposer son nom et ainsi allonger son CV. La pratique est très populaire en Chine, en Russie, en Inde et en Iran, où les équipes sont particulièrement poussées à publier.

La multiplication des revues dites prédatrices, qui acceptent n’importe quelle étude moyennant des frais de publication, contribue aussi à l’industrialisation du phénomène. Voyez plutôt : le nombre de journaux augmente sans cesse (plus de 5 % par an), bien plus vite que le nombre de scientifiques bénévoles qui évaluent les études, demandent des corrections et les valident (ce qu’on appelle la révision par les pairs). Ainsi, même les revues des plus grosses maisons d’édition, comme Elsevier, hébergent des centaines d’articles douteux.

Mais la riposte s’organise. Si les rétractations sont de plus en plus nombreuses, c’est aussi parce que certains justiciers et justicières de la science se sont donné pour mission de traquer les données inventées, les images manipulées, les courbes dupliquées, les fausses références… Ces « détectives », comme ils et elles se désignent, passent au crible les articles déjà publiés – en particulier sur la plateforme PubPeer, qui cumule plus de 300 000 commentaires anonymes. En bref, c’est une révision par les pairs officieuse, après l’acceptation de l’étude par la revue…

Il y a un an, une cinquantaine de leaders du domaine se sont réunis à Paris lors d’un symposium intitulé « Décontamination de la littérature scientifique ». Cette rencontre a mené à la mise en ligne, en juin 2025, de 27 guides pratiques – la Collection of Open Science Integrity Guides – pour aider les volontaires qui veulent évaluer la fiabilité des publications. On y apprend notamment à détecter les images dupliquées, à repérer les textes plagiés, à vérifier les calculs statistiques ou à signaler un problème d’éthique ou d’intégrité à un éditeur. Le but : que tous les scientifiques se sentent aptes à enquêter et à signaler les manquements.

Cette initiative s’inscrit dans un mouvement plus large qui vise à repenser tout le système de publication savante (un marché annuel de plus de 30 milliards de dollars américains !). En attendant, la vigilance des détectives est cruciale. Elle ne permet pas uniquement de faire la chasse aux articles problématiques ; elle aide à contextualiser la recherche et renoue avec le principe fondateur de la science : l’autocorrection. En effet, c’est en critiquant les résultats d’autres équipes – et aussi en répliquant les expériences – que les connaissances se corrigent et se consolident.

Or, pour reprendre les mots du professeur spécialisé dans la détection automatique des fraudes Guillaume Cabanac, cité dans CNRS Le journal : « La science se construit, tel le mur d’une maison, avec des briques. L’usage d’éléments non fiables, voire pourris – et réutilisés par la communauté scientifique – pourrait, à terme, menacer l’édifice ! » Les travaux de maçonnerie se font pressants.

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