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11 janvier 2024
Temps de lecture : 2 minutes

Les épaves ne sont pas des buffets ouverts

À qui appartiennent les fonds marins ? La question se pose encore une fois alors qu’un nouveau type d’exploitation émerge grâce aux avancées technologiques.

Après les chaluts qui grattent les fonds pour récolter poissons et crustacés, les plateformes qui extraient le pétrole et les véhicules qui minent les grandes profondeurs, on passe maintenant aux sous-marins qui fouillent – et pillent – les vestiges historiques.

Le magazine Bloomberg Businessweek a mené une enquête ces derniers mois pour découvrir que le millionnaire britannique Anthony Clake a pillé une dizaine d’épaves dans le monde grâce à des équipements sous-marins de pointe. Ce gestionnaire de fonds spéculatifs possède une flotte de robots autonomes à batteries qui peuvent scruter de vastes territoires, ainsi que des appareils capables de récupérer des tonnes d’objets précieux à des kilomètres de profondeur. Le genre de mission qu’il aurait été impensable de réaliser il y a quelques années encore.

Le pire est que son groupe se masque derrière une aura scientifique : quand son navire s’est fait accoster par les autorités islandaises en 2017, l’équipage a affirmé faire de la « recherche ». Il cherchait en fait le SS Minden, un cargo allemand qui a sombré pendant la Seconde Guerre mondiale, et à bord duquel se trouvaient de riches personnages qui avaient peut-être des biens de valeur avec eux. Une des entreprises liées à Anthony Clake a même obtenu des fonds des gouvernements britanniques et norvégiens pour développer des technologies de propulsion plus écologiques, a révélé Bloomberg Businessweek.

On estime que plus de trois millions d’épaves reposent ainsi au fond des eaux. Elles racontent l’histoire des relations internationales et des techniques maritimes, entre autres. Leur préservation est actuellement menacée par l’acidi­fication des eaux et la pollution, ainsi que par des espèces envahissantes ; c’est le cas dans nos Grands Lacs, où les moules quagga et zébrées dégradent les bateaux. La fenêtre de temps pour documenter le contenu des fonds marins n’est donc pas infinie. Mais retrouver et étudier ces navires du passé coûte une fortune… à moins de revendre une partie des trésors qui s’y trouvent.

L’UNESCO a adopté en 2001 la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, qui stipule clairement que les épaves et autres ruines immergées en haute mer, dans les lacs et dans les rivières depuis plus de 100 ans doivent être protégées de toute exploitation commerciale. Or, à peine 67 États l’ont ratifiée, et le groupe d’Anthony Clake et les autres équipes du genre semblent ne pas avoir trop de mal à échapper à leur surveillance.

Il me semble que le temps est plutôt au respect des sites archéologiques et des tombeaux – car c’est bien ce que sont plusieurs de ces épaves. « Même s’il peut être acceptable de suivre des pratiques archéologiques strictes pour récupérer des objets comme des pièces de navires… vous n’iriez pas dans un cimetière et ne commenceriez pas à déterrer des gens pour récupérer des effets personnels », disait au National Post l’archéologue amateur canadien Jacques Marc en 2012, alors que des objets tirés du Titanic étaient vendus à grands prix aux enchères.

La Convention prévoit que la récu­pération d’objets peut « être autorisée lorsqu’elle contribue de manière signi­ficative à la protection ou à la connaissance de ce patrimoine ». Mais cela ne semble pas être le but des pirates modernes, qui s’intéressent avant tout aux pièces d’or et autres lingots d’argent. Il est dommage que la recherche scientifique, la vraie, n’ait souvent pas les fonds nécessaires pour mener de grandes missions d’exploration interna­tionales et que le champ soit donc libre pour les individus qui ont un signe de piastre à la place du cœur.

Mais des initiatives récentes sont à souligner. L’été dernier, la Croatie et l’Espagne ont signé une entente de collaboration pour la recherche et la préservation du patrimoine de la Méditerranée. La Turquie a formé 400 plongeurs et plongeuses qui seront autant de sentinelles pour la protection et la recherche. Enfin, un débat a lieu en Australie pour ratifier la Convention, alors que la Gambie, l’Irak, la Mauritanie et le Qatar sont les derniers à l’avoir fait, en 2023. À quand pour le Canada ?

Vous lirez dans ce numéro la dernière chronique Anthropocène de Jean-Patrick Toussaint. Après cinq ans avec nous, il a eu envie de passer le flambeau. Toute l’équipe de Québec Science le remercie pour ses éclairages intelligents et pour son travail acharné. Ce fut un privilège pour nous de te côtoyer, Jean-Patrick !

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Marc Lamoureux
1 année il y a

Les Chinois remontent à la surface l’acier de navires de guerres coulés pendant la deuxième guerre mondiale. Cet acier est d’une grande qualité et vaut son pesant d’or. Ils ne tiennent évidemment aucun compte des disparus qui ont péris . En principe, ce pillage est interdit mais comment le contrôler ?

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