La montée récente de l’extrême droite, notamment en Europe et en Amérique latine, est une mauvaise nouvelle pour la science. Ces gouvernements ultraradicaux ont la fâcheuse tendance d’entraver la liberté des scientifiques et de malmener les sciences sociales et environnementales.
Donald Trump a une interprétation très personnelle des lois de la nature. En témoignent ses centaines de déclarations absurdes proférées au fil des ans, des changements climatiques soi-disant inventés par le gouvernement chinois, au coronavirus dont on se débarrasserait en s’injectant du désinfectant, en passant par les ampoules écoénergétiques qui causeraient le cancer et le sport qui épuiserait l’organisme…
Mais si ces bouffonneries prêtent à rire, elles ne doivent pas faire perdre de vue qu’une réélection de Trump serait dévastatrice pour la vraie science, celle qui se construit dans les laboratoires, se récolte sur le terrain, fait évoluer la société – et qui a besoin d’être libre et adéquatement financée.
Si les républicains remportent les prochaines élections, le Project 2025, élaboré par le groupe de réflexion conservateur Heritage Foundation en vue d’un nouveau mandat de Trump, pourrait être en partie mis en branle. Au fil de ses 900 pages de propositions politiques, le plan promet le sabotage décomplexé d’une multitude de mesures favorables au climat, à la biodiversité, à l’accès à la santé et à l’éducation, liste la revue Scientific American.
Mais ce n’est pas le plus effrayant : l’idée maîtresse est de démanteler le supposé « l’État profond », soit les institutions fédérales. Des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires actuellement non partisans pourraient ainsi être « politisés », dans le but de placer des pions trumpistes dans la haute administration. Par ailleurs, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, qui fournit par exemple les données nécessaires aux bulletins météo, pourrait être éliminée, tout comme l’Agence de protection de l’environnement. Quant au département de la Santé et des Services sociaux, il pourrait être transformé en un « département de la Vie », portant aux nues la famille nucléaire hétérosexuelle.
Saper les institutions, c’est une tactique historique des régimes autoritaires (ou qui aspirent à l’être) pour affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques et attaquer la science à la racine. Considérés comme des « élites » ennemies, les scientifiques sont des boucs émissaires récurrents du populisme, en particulier de la droite radicale. Et pas uniquement chez les trumpistes.
L’actualité récente ne manque pas d’exemples : Brésil, Turquie, Hongrie, Argentine… Partout où un gouvernement d’extrême droite est en place, l’indépendance et la liberté des scientifiques sont mises à mal. Les fonds sont réduits, redistribués, et la recherche, réorientée. Outre l’environnement, les principales victimes sont les sciences sociales et certains pans de la recherche biomédicale. Sans surprise, on prône le progrès technique plutôt que le progrès social, et on asphyxie les sciences fondamentales sans attendre. Or, c’est la recherche libre qui fait le terreau de l’innovation et des fameuses « sciences appliquées ».
En Argentine, l’élection en 2023 de l’ultraconservateur Javier Milei a porté un coup de massue au milieu scientifique. Le ministère de la Science a été rétrogradé en simple secrétariat. Le financement alloué au prestigieux institut de recherche du pays, le CONICET, a été gelé en 2024 malgré l’inflation record. Menacé de privatisation, l’organisme doit « être rentable », selon le gouvernement, qui a suspendu des bourses de recherche et licencié du personnel de soutien.
Même scénario en Hongrie, où Viktor Orbán a mis fin en 2019 à l’autonomie intellectuelle et financière de l’Académie des sciences, a interdit les programmes d’études de genre (un champ de recherche qui s’intéresse au genre et à sa signification sociale, politique et culturelle), et a sabré les fonds alloués aux études portant sur les minorités ethniques, entre autres.
« Les expériences récentes de plusieurs pays [passés aux mains de l’extrême droite] montrent que la liberté académique y est systématiquement attaquée (censures, licenciements, emprisonnements, réduction drastique des budgets et des postes…). Les sciences sociales sont les premières à subir ces assauts, et notamment les recherches sur les rapports sociaux de sexe et de race, et tous les travaux adoptant une approche intersectionnelle », avertissaient en juin dernier, après les élections européennes, les membres du comité qui contribue à l’élaboration de la politique scientifique du Centre national de la recherche scientifique en France.
La montée de l’extrême droite dans le monde est d’autant plus préoccupante que la recherche repose largement sur la collaboration internationale, et sur la libre circulation des idées et des personnes.
Ne nous estimons pas à l’abri : les années Harper ont laissé un goût amer aux scientifiques fédéraux, dont certains ont été muselés, contraints à abandonner des projets environnementaux ne plaisant pas au gouvernement et même limités dans leurs déplacements à l’étranger.
À la veille des élections américaines, il n’y a donc rien de drôle à entendre Trump divaguer sur le risque d’être électrocuté lors du naufrage d’un bateau coulant sous le poids de sa dangereuse batterie électrique (je n’invente rien). La communauté scientifique a plutôt de quoi être inquiète. Et elle l’est.