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Un niveau de vie décent pour tous, voilà un plan clair pour lutter contre les changements climatiques.
L’offre et la demande, voilà les éléments de base qui font notre économie. Jusqu’à maintenant, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui bouleversent le climat, on a mis en place toutes sortes de stratégies censées diminuer la pollution qu’engendre la production de biens et d’énergie − l’offre − sur la planète. On capte par exemple le CO2 qui sort de raffineries pour le stocker dans le sol et l’on tente d’améliorer les carburants des avions.
Pour accélérer la décarbonation de nos sociétés, prenons plutôt l’affaire à l’envers, propose le cinquième chapitre du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). S’il porte sur la réduction des changements climatiques, il est en fait une feuille de route pour une véritable révolution économique !
Pour la première fois, les experts présentent un chapitre sur « la demande, les services et les aspects sociaux de l’atténuation ». Soutenus par la littérature en sciences sociales et par différentes études de cas, ils affirment qu’on peut utiliser l’économie pour réduire les émissions de GES à court terme. Il n’est pas question ici de proposer des produits plus verts. Ni de faire de l’économie circulaire une religion − les auteurs indiquent d’ailleurs que les avantages de ce dernier concept restent à prouver. L’idée est d’agir sur la demande pour élargir la palette de solutions à la crise climatique.
Car pour l’instant, c’est surtout l’offre qui oriente l’économie, a rappelé l’une des auteures, la chercheuse en économie écologique de l’Université de Lausanne Julia Steinberger, au site d’information Drilled News. Après tout, est-ce vraiment le consommateur qui demande plus de plastique dans sa vie ? Ou alors est-ce l’industrie du pétrole qui stimule la demande en inondant les marchés de résine vierge à prix défiant toute concurrence ?
Mais que diriez-vous d’avoir accès à de meilleurs services et qu’en prime ceux-ci aient une empreinte carbone réduite ? Ça vous titillerait la demande, pas vrai ?
Les membres du GIEC mentionnent qu’agir ainsi sur la demande aurait le pouvoir de réduire de 40 à 70 % les émissions de GES d’ici 2050. Impressionnant ! Mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Une phrase du fameux chapitre dit tout : « Pour améliorer leur bien-être, les gens demandent des services et non de l’énergie primaire et des ressources matérielles en soi. » En effet, on n’a jamais vu la population militer pour son droit à plus d’électricité ou d’aluminium ! Ce qu’elle veut, c’est se chauffer en hiver et de quoi contenir sa bière.
La stratégie proposée consiste donc à répondre aux besoins réels des consommateurs à l’aide de solutions qui nécessitent peu d’énergie et de ressources et qui sont à faible coût. On dit souvent qu’on se « crée des besoins ». C’est plutôt qu’on les perd de vue. Personne n’a « besoin » de recevoir les différents ingrédients de son souper dans des emballages individuels eux-mêmes disposés dans une boîte en carton livrée par un camion. Les adeptes de ces solutions pratiques souhaitent plutôt bien s’alimenter et réduire le gaspillage alimentaire sans y perdre un temps fou. De la même façon, avons-nous besoin d’une auto ? Non, nous avons besoin de nous déplacer efficacement et de façon sécuritaire. Avons-nous besoin d’un nouveau téléphone intelligent tous les deux ans ? Non, nous avons besoin de communiquer facilement et d’obtenir de l’information. Avons-nous besoin d’une hypothèque de 400 000 $ ? Non, nous avons besoin d’un logement convenable duquel nous ne serons pas évincés. Au lieu de nous créer des besoins, créons des services « selon les besoins » et sans oublier ceux de la planète. Soyons créatifs ! Entrons dans une nouvelle économie qui n’aura rien à envier à l’ancienne.
Ce chapitre du dernier rapport du GIEC aux visées révolutionnaires parle d’ailleurs autant de gaz à effet de serre que de justice sociale et de bien-être. Car les besoins auxquels nous devrons répondre sont communs à tous les humains. Puisque nous n’avons qu’un seul budget carbone pour la planète, ceux dont le mode de vie émet beaucoup de gaz à effet de serre devront amorcer un virage, tandis que ceux qui peinent à se loger, se nourrir, étudier et se soigner verront leur empreinte carbone grandir. Un niveau de vie qualifié de « décent » est la cible pour tous.
Nous sommes de toute évidence du côté des nantis. N’ayons pas peur ! Si toute l’énergie utilisée aujourd’hui était distribuée également aux habitants de la Terre, la consommation de chacun serait équivalente à celle d’un Suisse des années 1960, calculait la géochimiste et géobiologiste Hope Jahren dans The Story of More, un ouvrage remarqué paru en 2020. « J’ai vu des photos de la Suisse dans ces années-là et vous savez quoi ? Ça n’a pas l’air si mal. Des gens dans des stations de train vêtus de manteaux de laine épais ou assis à la table d’un café en train de boire dans de petites tasses. » J’en redemande !