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La communauté scientifique se mobilise pour corriger les inégalités raciales qui persistent en son sein. Il était temps.
Il n’existe pas mille façons de le dire : la science a un problème de racisme. De la création du concept de « race » par le naturaliste Carl von Linné en 1735 jusqu’au mouvement eugéniste en passant par l’infâme expérience de Tuskegee, en Alabama, des travaux de recherche ont contribué à façonner le racisme tel qu’il est vécu aujourd’hui. Le problème s’est infiltré au cœur même de la science, puisqu’il entrave la carrière des chercheurs issus des minorités visibles.
Tout cela est su et connu. Mais il aura fallu que les morts de Breonna Taylor et de George Floyd surviennent pour déclencher un examen de conscience sans précédent dans la communauté scientifique. « Nous reconnaissons que Nature est l’une des institutions blanches responsables des préjugés dans la recherche et les études universitaires. Le monde de la recherche scientifique a été − et reste − complice du racisme systémique et doit davantage s’efforcer de corriger ces iniquités et d’amplifier les voix marginalisées », ont écrit les éditeurs de la prestigieuse revue, à l’instar de plusieurs journaux scientifiques, universités et sociétés savantes. Dans la foulée, des campus ont effacé les noms de scientifiques connus pour leurs opinions racistes. Les découvertes de James Watson, Ronald Aylmer Fisher et Francis Galton subsisteront dans l’histoire, mais il est désormais anachronique et méprisant que leurs noms honorent des lieux qui accueilleront des hommes et des femmes qu’ils considéraient comme des êtres inférieurs.
Évidemment, tous n’adhèrent pas à ce mea-culpa collectif. Certains ne s’expliquent pas que des inégalités puissent exister en science. Pour eux, la science est par définition neutre et objective, et donc elle n’a que faire des origines ethniques (une rhétorique appelée colorblind en anglais et qui, selon plusieurs études, pousse ses tenants à ignorer non seulement la couleur de peau, mais aussi la discrimination). Ce qui importe en science, pour eux, c’est l’excellence − qui, apparemment, ne fait pas toujours bon ménage avec l’équité. « L’augmentation des pratiques d’embauche qui favorisent ou même imposent l’équité par un nombre absolu d’employés de sous-groupes spécifiques est contre-productive si elle se traduit par une discrimination à l’encontre des candidats les plus méritants », a déclaré le professeur canadien Tomas Hudlicky dans un texte d’opinion qui n’avait pourtant rien à voir avec le sujet (il portait sur les 30 ans de la synthèse organique !), publié en juin dernier dans le journal de chimie Angewandte Chemie. Le tollé a été immédiat et les 16 membres du comité de rédaction ont démissionné.
Difficile de réagir autrement quand on sait à quel point les minorités racisées ont du mal à se tailler une place en science. Prenons seulement le taux de professeurs noirs, qui demeure anémique dans le monde de la recherche occidentale : en Grande-Bretagne, il est de 0,7 % et aux États-Unis de 6 %.
Au Québec ? Nous étions à une représentation de 2,2 % lors du recensement de 2016. Mais attention, ces données incluent aussi les chargés de cours. Comme les personnes issues des minorités visibles ont plus souvent que leurs collègues blancs un statut d’emploi précaire, on peut imaginer que le taux est plus bas encore pour les professeurs. Il est ardu de savoir si la tendance se renverse, car les universités comptabilisent les statuts de minorités visibles à l’aide d’autodéclarations volontaires. Toutes n’accordent pas la même valeur à ce procédé, qui permet pourtant de suivre les progrès en matière d’équité. Les données qui en ressortent sont donc complexes à analyser et à comparer (certaines universités refusent même de les rendre publiques). Il existe toutefois une information qui ne laisse aucune place à l’interprétation : la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics est entrée en vigueur il y a 20 ans et, depuis, aucune université n’a atteint ses cibles ! C’est inacceptable.
Comme le réclame un groupe de plus de 300 universitaires britanniques, il faut des mesures concrètes, implantées de manière transparente et rigoureuse. D’abord, des chercheurs issus des minorités racisées, tout particulièrement de la communauté noire, doivent être présents partout : professorat, postes de gestion, conseils d’administration, équipes éditoriales de revues savantes, directions d’organismes subventionnaires. Ensuite, tout en assurant la protection des renseignements personnels, les établissements devraient encourager les chercheurs à déclarer leur statut, en leur expliquant l’importance de ces données. Et ces dernières devraient faire l’objet de rapports annuels publics, comme en produit entre autres l’Université de la Colombie-Britannique depuis 2010.
Alors que les formations sur les biais inconscients ne sont pas toujours efficaces, voire ont des effets contraires à ce qui est attendu, certains suggèrent plutôt qu’elles portent sur les inégalités raciales et les relations de pouvoir. Ces formations devraient être obligatoires pour quiconque embauche des chercheurs, révise des études et approuve des demandes de financement. Enfin, il ne saurait y avoir d’équité sans se pencher sur les écarts salariaux de même que sur la charge de travail supplémentaire des minorités, à qui l’on demande de participer bénévolement à une foule de travaux sur la diversité.
Le milieu de la recherche ne peut se targuer d’être au service de l’humanité sans la représenter adéquatement. Et cela ne peut pas attendre encore 20 ans.