Peut-on vacciner les gens contre les fausses nouvelles ? L’approche fait l’objet de nombreuses recherches et offre des résultats encourageants.
Quelle ironie ! À peine arrivé à son poste de secrétaire des États-Unis à la Santé, Robert Kennedy Jr. a fait face à une flambée alarmante de rougeole au Texas. L’épidémie, marquée par le décès d’un premier enfant en février, a apparemment conduit cet « antivax » notoire à retourner sa veste. Il a finalement lâché du bout des lèvres que les parents texans pouvaient « envisager la vaccination de leurs enfants contre la rougeole », s’ils le souhaitaient… L’avocat, qui propage les pires croyances en matière de vaccins, a peut-être appris qu’avant l’arrivée d’un vaccin en 1963, environ 30 millions de personnes étaient infectées par la rougeole dans le monde chaque année et 2,6 millions d’entre elles en mouraient (contre 107 000 en 2023). Or, le vaccin procure une protection à vie à plus de 97 % des personnes qui ont reçu deux doses. Il serait dommage de s’en priver…
Et quitte à sortir les aiguilles, peut-on en profiter pour vacciner la population contre… la désinformation ? La proposition est sérieuse : elle fait l’objet de recherches qui se sont intensifiées depuis la COVID-19. Le concept ? Exposer les gens à des informations manipulées pour stimuler leur « immunité » envers la désinformation. Soyons clairs : on est loin de l’efficacité du vaccin anti-rougeole. Mais en ces temps obscurs où la vérité passe un sale quart d’heure, une petite piqûre de rappel ne coûte rien.
L’inoculation psychologique a d’ailleurs émergé aux États-Unis pendant la guerre froide, pour protéger les soldats contre le « lavage de cerveau » communiste. En familiarisant en amont les militaires avec la propagande ennemie, on pensait qu’ils seraient moins susceptibles de céder au chant des sirènes rouges.
Ce concept, aussi appelé prebunking ou démystification préventive (soit apprendre à repérer les mensonges avant d’en rencontrer), a été popularisé par les psychologues Sander van der Linden et Jon Roozenbeek, de l’Université de Cambridge, qui ont conçu le jeu Bad News en 2018. Le but : exposer l’internaute aux différentes tactiques de désinformation pour qu’il ou elle soit plus alerte face aux informations douteuses rencontrées en ligne. « L’idée est de construire une résistance psychologique ou une résilience contre une exposition future à la désinformation », expliquait Jon Roozenbeek à Québec Science en 2021. Selon leurs travaux, après avoir joué 15 minutes à ce jeu, les gens étaient plus capables de repérer les techniques de désinformation sur Twitter.
L’équipe a aussi testé la stratégie en présentant à des cobayes de courtes vidéos, qui décortiquent cinq tactiques couramment utilisées pour tromper : le langage manipulateur, l’incohérence, les faux dilemmes, la technique du bouc émissaire et les attaques ad hominem. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi appris à mieux déceler le contenu louche, selon ces études encourageantes.
Certains groupes de recherche estiment toutefois que la désinformation est trop complexe, trop protéiforme, pour que la recette marche à tous les coups. Pire, en suscitant la méfiance, on peut amener les gens à douter un peu trop, y compris des médias fiables… qui n’ont pas besoin de ça ! Et une étude a montré qu’on pouvait carrément inoculer les gens contre l’inoculation – par exemple, lorsqu’une personne adepte de la théorie du complot les prévient de l’effet de cette approche.
Bref, ce « vaccin » n’est pas magique. Mais il peut être « boosté ». C’est ce que laisse entendre une récente étude, pas encore publiée. Menée auprès de plus de 33 000 personnes aux États-Unis, elle a comparé neuf techniques de lutte contre la désinformation, dont l’inoculation, mais aussi le déboulonnage de mythes, les messages d’avertissement, l’évaluation de la crédibilité de la source… Résultat : tout est efficace et aucune approche n’est vraiment meilleure qu’une autre. « Ces résultats sont encourageants et indiquent qu’une variété d’approches pour lutter contre la désinformation peuvent être couronnées de succès », peut-on lire dans l’article. On sait qu’en combinant les « boucliers » (une vidéo-vaccin et un message qui rappelle l’importance des faits, par exemple), on améliore la vigilance.
Les scientifiques ne sont pas naïfs : sans la coopération des Meta de ce monde et de leurs algorithmes, même des individus bien préparés pourront difficilement résister au flot d’inepties que l’on trouve sur Internet. Mais, alors que Donald Trump utilise la désinformation comme une arme de propagande massive, il faut continuer à poser des gestes barrières, à mener des campagnes d’inoculation et à aiguiser l’esprit critique de toutes les manières possibles.