L’astronaute canadien Jeremy Hansen pendant un événement en mai 2023, aux États-Unis. Photo: NASA/Keegan Barber
L’astronaute deviendra le premier Canadien à s’approcher aussi près de la Lune.
La mission américaine Artemis II de la NASA, prévue pour septembre 2025, marquera un tournant historique en renvoyant des astronautes autour de la Lune pour la première fois depuis Apollo 17 en 1972. À bord de la capsule Orion, l’astronaute canadien Jeremy Hansen sera accompagné par les astronautes américains Reid Wiseman, Victor Glover et Christina Koch.
Un peu plus de 18 mois avant le grand départ, nous avons rencontré l’Ontarien de 48 ans lors d’une journée média à l’Agence spatiale canadienne.
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Québec Science Pendant votre formation, vous et vos collègues avez vécu isolés pendant plusieurs jours dans un sous-marin et dans une grotte. Comment ces expériences préparent-elles à cette mission spatiale?
Jeremy Hansen Ces deux exemples illustrent ce que nous appelons l’entraînement expéditionnaire, où les astronautes sont immergés dans des environnements stressants avec des risques et des dangers réels qui doivent être maîtrisés. Ces situations reproduisent le travail que nous ferions dans l’espace. Ce sont des occasions de s’entraîner à réagir dans telle ou telle situation, à en tirer parti, à communiquer avec ses coéquipiers. Ce type d’entraînement est très utile pour se préparer à une mission spatiale, mais aussi pour la vie en général.
Ce fut très formateur : vivre plusieurs semaines dans ces conditions exigeantes, travailler en équipe et gérer des risques réels ont été une épreuve. Vivre dans une grotte pendant une semaine représente certainement la chose la plus dangereuse que j’aie jamais affrontée. Et ce n’est pas peu dire, car j’ai été confronté à de nombreuses situations dangereuses dans le passé [il est pilote de chasse de CF-18].

Les astronautes canadiens Jeremy Hansen et Jenni Gibbons. Photo: Annie Labrecque
QS La capsule Orion, où vous passerez 10 jours, a un diamètre de 5 mètres. Comment vivre à 4 dans un endroit aussi exigu?
JH Nous pratiquons ce que nous appelons les compétences d’équipe, dont les cinq éléments sont la communication, le leadership, le suivi, le soin de soi et le soin de l’équipe. En tant qu’astronautes, nous avons passé beaucoup de temps à en discuter et explorer comment fonctionner en tant qu’équipe. Il y aura de nombreux facteurs de stress pendant la mission. Nous avons donc créé une culture où nous discutons ouvertement des choses [qui nous contrarient] avant qu’elles ne deviennent un problème.
Un autre élément que j’ai mentionné est la prise en charge de soi. Je me ressource généralement dans la solitude. Si j’ai envie d’un peu de temps pour moi, je peux mettre mon casque antibruit et regarder par la fenêtre pendant un moment pour me sentir seul dans l’espace. Peut-être que j’en aurai besoin, peut-être pas, mais ce que je sais, c’est que j’aurai la confiance nécessaire pour communiquer mes besoins à mes coéquipiers, sachant qu’ils les respecteront. En retour, je suis aussi à l’écoute de ce dont ils ont besoin.
QS Il y a une odeur particulière dans la Station spatiale internationale. Certains astronautes rapportent que cela sent le brûlé, d’autres que cela ressemble à un mélange d’antiseptiques, de poubelles et d’odeurs corporelles. Avez-vous quelque chose pour prévenir les odeurs nauséabondes dans votre capsule?
JH Pas vraiment. Avec le temps, notre nez s’acclimatera aux odeurs et elles deviendront moins perceptibles en s’estompant en arrière-plan. Ainsi, nous aurons tous une odeur commune. Je ne pense pas que cela nous affectera tant que ça. Je m’inquiète plutôt pour les plongeurs de la marine américaine qui viendront nous récupérer. Cela pourrait être un choc! Nous avons travaillé avec eux la semaine dernière et nous en avons ri. Il vaut mieux se préparer à des odeurs intéressantes, car après tout, il s’agit d’une mission de dix jours.
QS Y a-t-il des aliments particuliers que vous voulez apporter avec vous?
JH J’apporte avec moi quelques produits canadiens. Il y a un curry de crevettes que j’ai particulièrement apprécié. Ensuite, des morceaux de saumons confits, qui sont des amuse-gueules. Et puis j’apporte du sirop d’érable. Tout l’équipage croit qu’il est bon d’avoir du sirop d’érable à bord pour agrémenter la nourriture. Et bien sûr, des biscuits à l’érable!

Le flywheel est un appareil qui sera utilisé pour l’entraînement dans la capsule Orion. Photo: Annie Labrecque
QS Le flywheel est un appareil utilisé pour l’entraînement physique. Celui-ci est attaché à la capsule. Est-ce que les vibrations provoquées par cet appareil pourraient affecter la capsule?
JH C’est possible, cela peut créer des vibrations de résonance dans l’équipement, notamment les panneaux solaires. L’équipe a donc effectué une modélisation pour vérifier si cela poserait un problème. Nous le surveillerons attentivement lorsque nous serons dans l’espace. Nous devons nous assurer de ne pas endommager le véhicule.
QS Vous êtes le plus grand en taille de votre équipage. Allez-vous être en mesure de vous entraîner à votre maximum?
JH D’après les dimensions de la capsule, il y a suffisamment d’espace pour que je puisse effectuer mes exercices avec toute l’amplitude de mouvement. Dans le pire des cas, si je me sens à l’étroit, je peux réduire l’amplitude de mes mouvements. Ce ne serait peut-être pas aussi productif sur le plan musculaire, mais je pourrai au moins maintenir une routine d’exercices.
QS Allez-vous avoir le temps de mener un projet scientifique pendant votre court séjour dans l’espace?
JH Nous avons des contraintes en termes de masse et de volume pour cette mission, étant donné l’absence de station spatiale de transition. Nous ne pouvons donc pas emporter grand-chose pour faire de la science à l’intérieur de la capsule. Cependant, nous prévoyons mener des recherches sur l’effet du voyage spatial sur nos corps, avant et après la mission.
Nous prendrons des photos de la Lune, qui pourraient mener à des découvertes. Même si nous disposons d’images très détaillées de l’entièreté de la surface lunaire, les géologues avec qui nous avons collaboré ont indiqué qu’il reste des zones inexplorées sur la face cachée de la Lune. Elles n’ont jamais été vues par des yeux humains à l’époque des missions Apollo, ou encore, les caméras n’ont pas pu capter ces régions à cause de la distance. Nous pourrions donc avoir accès à des images inédites.
Admirer la Lune de près et contempler la Terre depuis la Lune m’enthousiasme.
Jeremy Hansen, astronaute canadien
QS Qu’aimeriez-vous accomplir au cours de votre mission ?
JH Nous avons de nombreux objectifs opérationnels pour cette mission, dont le principal est de tester le véhicule Orion [celui-ci a volé dans l’espace sans équipage lors de la mission Artemis I, en 2022].
C’est notre priorité, car cela permettra de mener à bien Artemis III [prévue en 2026 et au cours de laquelle un homme et une femme fouleront le sol lunaire pour la première fois depuis 1972] et les missions qui suivront.
Personnellement, je suis impatient de vivre cette expérience avec mes trois compagnons d’équipage. Admirer la Lune de près et contempler la Terre depuis la Lune m’enthousiasme. Les images que nous prendrons, que ce soit de la face cachée de la Lune ou de notre planète vue de l’espace, auront un impact sur les gens. Nous espérons que cela rappellera à chacun de nous de s’arrêter un instant et de regarder ces images en réalisant qu’il y a quatre humains qui naviguent dans l’espace lointain et hostile où survivre est un défi.
Nous sommes ici, sur la planète Terre, et nous tenons cela pour acquis. En tant qu’espèce humaine, nous avons le potentiel d’accomplir des choses extraordinaires si nous unissons nos forces et que nous nous fixons des objectifs plus ambitieux pour résoudre les grands problèmes auxquels l’humanité est confrontée. J’espère donc que cela rappellera aux gens que nous pouvons accomplir de grandes choses si nous collaborons et si nous apportons une énergie positive dans le monde.

Les astronautes à bord de la capsule Orion pourront savourer des biscuits à l’érable. Photo: Annie Labrecque