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22 août 2024
Temps de lecture : 3 minutes

La boulette de viande de mammouth

Une boulette de viande cuite déposée au centre d'une assiette en porcelaine blanche. La viande est nappée de sauce et décorée d'herbes fraîches.

Photo: Unsplash/Sam Moghadam Khamseh

La viande cultivée pourrait-elle révolutionner notre alimentation tout en réduisant notre empreinte sur la planète? Notre chroniqueur explore cette question.

Il y a 15 000 ans, nos ancêtres des contrées nordiques pourchassaient le mammouth laineux. Sa viande rimait avec festin. Sur le site archéologique de Yudinovo, en Russie, on retrouve encore d’immenses monuments, chacun bâti avec les ossements de dizaines de mammouths. Assez de viande pour nourrir des centaines de personnes durant des mois. Autour de ces squelettes, on échangeait de l’ambre et des coquillages.

Le réchauffement qui marqua la fin de la dernière ère glaciaire fit suer le laineux, qui s’éteignit doucement. La surchasse pratiquée par nos aïeux pourrait aussi avoir précipité son déclin, mais cela ne demeure qu’une hypothèse. Cependant, malgré sa disparition, tout n’a pas été perdu. Des centaines de mammouths ont été momifiés dans le pergélisol. Au creux de leur fourrure gelée et de leurs molaires sommeille encore leur génome.

Si bien qu’en 2008, de lointains enfants des chasseurs et des chasseuses de mammouths, devenus scientifiques, sont parvenus à récupérer de premiers fragments de l’ADN de la bête disparue chez deux spécimens. L’humanité, nombreuse comme jamais, se nourrit désormais de manière fort peu durable. Le méthane des vaches réchauffe l’atmosphère ; les poules croupissent, entassées ; le lisier des porcs souille les rivières. D’aucuns commencent à contempler la possibilité de « cultiver » de la viande, cellule par cellule.

De premiers tests sont menés avec du bœuf, du porc et du poulet. On prélève une cellule souche sur un animal, puis on la multiplie ad infinitum dans une cuve en inox. Et on différencie le tout en cellules musculaires. Évidemment, il faut nourrir ces cellules avec des glucides (tirés du maïs), des acides aminés (obtenus du soya) et des hormones. Cela dit, l’efficacité du processus fait rêver : si on parvient à surmonter les obstacles techniques, on produira l’équivalent en viande d’un bœuf avec 30 fois moins de matière végétale que ce que l’animal engloutit de son vivant, et sans causer la moindre souffrance à celui-ci.

Voilà donc qu’en 2023, l’entreprise australienne Vow décide de réaliser un coup d’éclat pour attirer l’attention sur la viande cultivée : produire du mammouth. Ses scientifiques fouillent dans les bases de données pour trouver la séquence génétique encodant la myoglobine du mammouth, la protéine musculaire donnant son goût à la viande. Puis, l’équipe colmate les fines brèches dans cet ADN avec celui de l’éléphant. Enfin, elle intègre ce génome hybride dans des cellules souches de mouton, qui se reproduisent follement dans un bioréacteur. Résultat : une boulette de « mammouth », fumante et flamboyante.

***

La viande de culture – un aliment désincarné, très éloigné du monde naturel – aidera-t-elle nos sociétés, très paradoxalement, à se nourrir en trouvant un meilleur équilibre avec la nature ?

Oublions l’excentrique mammouth et considérons le bœuf, le porc et le poulet, qui font l’objet d’efforts sérieux. Pour l’instant, le bilan écologique de la viande de culture semble préférable à celui de la viande conventionnelle, mais beaucoup d’incertitudes subsistent, puisque la production à grande échelle n’a pas encore débuté. Néanmoins, deux certitudes se dessinent : 1) il faut beaucoup moins de terres pour produire de la viande cultivée, mais 2) beaucoup plus d’énergie, dont la majorité sert à refroidir les cuves où se multiplient les cellules.

L’empreinte carbone de la viande cultivée dépend étroitement du type d’énergie utilisée dans l’usine de cellules. Selon une étude pilotée par le cabinet indépendant de recherche CE Delft et publiée en 2023, produire industriellement un kilo de viande cultivée émet l’équivalent de 3 kg de CO2 si on utilise des énergies renouvelables. L’aiguille monte cependant à 14 kg de CO2 avec le mix énergétique mondial actuel. En comparaison, la production conventionnelle d’un kilo de poulet émet 10 kg de CO2 ; celle de porc, 12 kg ; et celle de bœuf, 99 kg.

Belle perspective, mais, pour l’instant, l’industrie n’arrive pas à la concrétiser. Bâtir les usines et les exploiter s’avère extrêmement coûteux. Malgré quatre milliards de dollars d’investissements en dix ans à l’échelle mondiale, aucune entreprise n’arrive à démarrer la machine. La fenêtre d’optimisme instantané se referme. « Je ne sais pas si nous, l’industrie, serons en mesure de trouver une solution de notre vivant », déclarait Josh Tetrick, le PDG d’Eat Just, l’une des compagnies majeures du secteur, dans une entrevue crève-cœur l’hiver dernier.

Si la viande de culture nous permet un jour d’atteindre un nouvel équilibre avec la nature, ce ne sera pas demain ni après-demain. Pour rivaliser avec la toute-puissante industrie de l’élevage, et avec le faible coût du tofu, la recherche devra continuer d’enchaîner les petites avancées. On réalise maintenant qu’il ne s’agit pas d’un sprint, mais plutôt d’un long marathon… à la poursuite du mammouth.

Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.

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Patrick Mantha
1 année il y a

Ya rien qui va changer la vraie viande élever dans les fermes je suis un mangeur de viande rouge et fière de supposément contribuer au réchauffement climatique

Luc, Luciano, Blanchard
1 année il y a

Nos ayeux poilus, je serai bien étonné qu’il soit meilleur que le wapiti Canadien _🇨🇦

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