Tout un écosystème prend vie sur ce pied d’éolienne, au large de la Belgique. Photo : Institut royal des sciences naturelles de Belgique/Alain Norro
Dans la mer du Nord, ces infrastructures énergétiques forment des récifs artificiels où la vie foisonne.
La mer du Nord, au large de l’Europe, est un lieu propice aux éoliennes marines. Ses eaux peu profondes jouxtent des côtes abondamment peuplées, assoiffées d’énergie renouvelable. Depuis le début des années 2000, des milliers de moulins blancs y ont été déployés, et la cadence s’accélère. Étant donné les objectifs que se sont fixés les pays européens, 10 % de la superficie de la mer du Nord seront consacrés à la production d’énergie éolienne maritime en 2050.
Sous la surface, ces nouvelles infrastructures bouleversent le paysage. Les vastes fonds sablonneux de la mer nordique, qui offraient très peu de points d’ancrage à la vie marine, accueillent désormais de costauds pieux métalliques. À leur pied, de grosses roches disposées sur plusieurs dizaines de mètres préviennent l’érosion. Ainsi naissent des « récifs artificiels » à la faune abondante, tout comme le deviennent également les épaves et les plateformes pétrolières.
Une foule d’organismes s’accrochent aux fondations sous-marines des éoliennes. Des cirripèdes, de petits crustacés immobiles, s’installent près de la surface. Quelques mètres plus bas, des moules bleues colonisent la structure. Plus profondément, des anémones élisent domicile. Et au pied des colonnes, les grands crustacés se multiplient, profitant du festin qui leur tombe sur la tête. Au large de l’Allemagne, des scientifiques ont compté 5000 crabes dormeurs dans la zone d’enrochement de chaque colonne. Une étude estime que, dans l’empreinte spatiale d’une éolienne, la biomasse est 4000 fois plus importante que dans les sédiments environnants.
De tels récifs, incongrus en cette mer au plancher lisse, accueillent des espèces exotiques – comme la crépidule, un gastéropode de l’Atlantique, ou encore l’huître creuse du Pacifique –, mais offrent aussi refuge à des animaux indigènes menacés. À ce titre, l’huître plate européenne, autrefois omniprésente dans la mer du Nord méridionale, puis pratiquement disparue au 20e siècle en raison de la surpêche et de l’introduction accidentelle de parasites, connaît aujourd’hui une modeste renaissance, notamment dans les parcs éoliens au large de la Belgique.
Certaines espèces de poissons accourent également autour des éoliennes. Parmi elles, la morue de l’Atlantique, un prédateur qui chasse dans les fonds marins. Des scientifiques allemands ont observé des différences « frappantes » dans la densité de morues autour d’éoliennes protégées par des enrochements autour des îles Helgoland. Une autre étude démontre que la morue fréquente aussi bien ces espaces en été pour se nourrir qu’en hiver pour frayer. « Les parcs éoliens en mer ont des effets positifs sur la résilience des populations locales de morue », écrivent les biologistes.
Il apparaît aussi que les éoliennes au large de la Belgique bénéficient à la plie commune, un poisson plat qui vit dans les fonds sableux et qui fait l’objet d’une pêche importante en mer du Nord. Même si la plie n’est pas un poisson de récif, elle se plaît dans les interstices sableux des enrochements des éoliennes, où elle trouve de quoi se sustenter. Tant pour la morue que pour la plie, les scientifiques voient les populations locales s’accroître, mais ne savent pas si cela découle d’une concentration des animaux ou d’une véritable augmentation des stocks.
À cet égard, les plateformes pétrolières, qui offrent aussi gîte et couvert à certains animaux marins, prodiguent quelques enseignements. Dans le golfe du Mexique, l’installation de ces infrastructures au milieu du 20e siècle a provoqué une forte croissance de la population régionale de vivaneau rouge. Au large de la Californie, elles servent de pouponnière à 20 % des sébastes de toute la distribution géographique de ce poisson, du Mexique à l’Alaska.
Malgré cela, le développement de l’énergie éolienne maritime rencontre – et cela est bien légitime – la résistance des pêcheurs de la mer du Nord. En effet, la plupart des pays européens interdisent la pêche commerciale aux alentours des moulins. Au Royaume-Uni, l’activité est autorisée, mais les navires pêcheurs ne s’y risquent pas, pour éviter d’empêtrer filets et chaluts dans les structures submergées des éoliennes.
Il faut aussi dire que, pour les écosystèmes marins, les éoliennes n’offrent pas que des bénéfices. Par exemple, leur bruit peut masquer les communications des mammifères marins. N’en demeure pas moins que le développement de cette énergie renouvelable, en plus d’offrir une solution de rechange aux combustibles fossiles, crée des habitats sous-marins complexes, idéaux pour l’épanouissement d’écosystèmes riches et diversifiés. Cela montre peut-être que l’humanité, dans son essor technique, ne fait pas que du mal à la nature.
Alexis Riopel est journaliste pour Le Devoir et s’intéresse aux questions environnementales.